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du regard froid et malveillant de cette femme, je retrouvai ma force et lui dis d’un ton calme que, peu satisfaite du message de mon hôtesse, je venais m’informer moi-même. Avant qu’elle eût le temps de me répondre, la voix de Morrik prononça mon nom. — Je veux entrer ! m’écriai-je, et voir le malade ; il semble n’avoir plus le délire.

M. Morrik ne reçoit personne, dit-elle ; d’ailleurs une pareille visite serait contraire à toutes les convenances ; il est vrai que vous paraissez en faire peu de cas.

— Au lit de mort d’un ami, repartis-je, non certes ! — Et comme il appelait encore une fois : — Marie ! — j’ouvris la porte de son cabinet, où j’entrai sans hésitation. Cette petite chambre était sombre, car la fenêtre donne sur une rue étroite, et les rideaux étaient à demi fermés. Il y faisait assez clair, malgré cela, pour que je pusse voir ses traits pâles sur lesquels ma présence répandit un faible rayon de joie. Il me tendit la main, et fit des efforts pour soulever sa tête. — Vous venez, dit-il tout bas, quel soulagement vous m’apportez !… Vous ne vous en irez plus, Marie, je ne puis supporter,… il me reste si peu de temps… la dame… là, vous savez,… chacune de ses paroles me fait mal,… son voisinage est pour moi comme une montagne… et je n’ai pas le cœur de le lui dire. J’ai voulu lui faire comprendre que je préférais être seul. — Les malades ne doivent pas avoir de volonté, m’a-t-elle répondu. — Oh ! Marie, restez ici, je ne verrai, je n’entendrai plus que vous seule. D’ailleurs je vous promets de ne rien dire qui puisse vous fâcher.

Émue, prête à pleurer, je serrai tendrement sa main, et consentis à ce qu’il me demandait. Alors son visage s’éclaircit. Il referma les yeux et parut si tranquille que je crus qu’il dormait. Cependant, lorsque je voulus retirer ma main, il me regarda encore avec une expression suppliante jusqu’à ce qu’enfin le sommeil s’empara de lui.

Je retournai dans l’autre chambre, où la dame tricotait, assise sur le canapé. Sans perdre de temps, je lui signifiai le plus poliment possible que le malade était très reconnaissant de ce qu’elle avait fait pour lui, mais qu’il ne voulait pas la déranger davantage, et que je me chargeais de le soigner avec l’aide de son domestique et des gens de la maison.

— Vous, ma chère ? demanda-t-elle avec une mine allongée et de l’air le plus foudroyant.

— Sans doute, repris-je du ton le plus calme. Je suis la seule personne que M. Morrik connaisse dans cette ville, il me semblerait donc peu naturel d’abandonner ce devoir à une étrangère qui en a tant d’autres à remplir auprès de malades qui lui sont plus chers.