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Mon père m’a écrit qu’il m’approuve de n’avoir point accepté le legs du Polonais. J’en ai tout de suite avisé le bourgmestre, et j’ai déjà reçu de lui une lettre de remercîment au nom des pauvres. Dieu soit loué, c’est une affaire complètement terminée.

J’écris peu maintenant, parce que chaque jour ressemble au précédent, comme les feuilles du même arbre, qui sont toutes jaunes à la fin de l’automne et tombent l’une après l’autre.

Le 11 décembre.

Je suis allée ce matin à neuf heures aux ruines de Zéno en suivant le vieux et cher sentier, mais non plus avec le même cœur. Lorsque je passai devant sa pension, il était sur le seuil de la porte, me vit et demeura immobile comme une statue. Je n’osais le regarder ; mais un coup d’œil rapide suffit pour me montrer qu’il était très sérieux et plus blême encore que jadis. Il ne me salua pas et parut s’effacer dans l’embrasure de la porte, comme s’il craignait de me faire peur. Je continuai ma route, la tête baissée.

J’ai trouvé la montagne plus rude que la première fois ; c’est que je me suis affaiblie, et puis j’étais bien plus gaie alors.

En dépit de mes efforts, je ne puis reprendre le dessus. Ce n’est pas seulement ma pitié pour lui ni la privation d’entretiens qui m’étaient chers…, c’est comme une dette, comme un devoir dont je ne m’acquitte pas.

Et cependant que pouvais-je faire ? Doit-on, en présence de la mort, se nourrir d’un fol espoir de vivre ?

Le 16 au soir.

Journée fatigante, mais joyeuse. J’ai emballé les petits cadeaux de Noël que je veux envoyer à la maison. L’apprenti du tailleur a porté ma caisse à la poste, et je suis retournée pour la première fois depuis vingt jours au Wassermauer. Morrik y vint. Il me salua en me regardant avec intérêt, comme pour s’assurer si j’étais bien ; mais pas un mot : il m’a obéi. Maintenant je me figure n’avoir jamais échangé une parole avec lui ; c’est un roman dont la lecture m’a fait m’éprendre d’un homme que je n’ai vu qu’en gravure sur le frontispice du livre, et pour lequel malgré cela je ressens le plus vif intérêt.

Le soir de Noël.

Que dois-je penser de ceci ? Il y a une heure, on vient de m’apporter un arbre de Noël, chargé de magnifiques oranges, de grenades, de bonbons et d’une foule de bougies. C’est une domestique étrangère qui l’a remis à l’hôtesse pour moi, sans vouloir dire de