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ma main : — Vous tremblez aussi devant moi ; avez-vous oublié ce que je vous ai dit ?

J’étais incapable de prononcer un mot ; seulement je sentais bien que mon dernier bonheur m’échappait, qu’il fallait renoncer à cette confiance parfaite, à ce commerce agréable, cordial et doux, auquel je m’étais si vite habituée. J’allais rentrer dans ma solitude. — Je vais me retirer, lui dis-je, je ne suis pas bien. Restez ici, jouissez encore de ce soleil qui me fait mal à la tête. Je vous écrirai ce soir, si je suis mieux.

Je me levai, lui tendis une dernière fois la main, le suppliant du regard de ne plus rien me dire, et je le quittai… Tout est fini !..

Maintenant voyons si je puis me recueillir assez pour lui écrire.

Le soir du même jour.

Voici ma lettre. J’en garderai le brouillon dans mon journal. Depuis qu’elle est écrite, je me sens physiquement mieux, mais le malaise de l’âme est toujours de même.

« Cher ami,

« Laissez-moi vous dire adieu pour cette vie et au revoir dans l’autre. Les derniers mots que vous m’avez adressés aujourd’hui m’ont troublée, abattue. Je donnerais beaucoup pour que nous fussions demeurés comme précédemment bons camarades jusqu’à la fin ; mais, puisque cela ne se peut pas, je vous remercie d’avoir parlé. Si ce congé vous est pénible, puissiez-vous l’accepter avec douceur et retrouver bientôt le calme avec lequel naguère nous regardions le passé et l’avenir !

« Il est probable que nous aurons l’occasion de nous rencontrer. Bornons-nous à nous saluer comme si nous n’étions déjà plus de ce monde. Je n’ai pas besoin de vous dire que mon amitié ne cessera de veiller sur vous ; mais, je vous en prie, rendez-moi la vôtre, qu’un moment d’oubli semble avoir éclipsée.

« Adieu, cher ami, et si vous voulez me prouver que vous avez compris ces lignes telles que mon cœur les a dictées, ne me répondez pas.

« Marie. »
Le 30 novembre.

Je regrette la neige et la glace, l’hiver sombre et froid de mon pays. Ce soleil qui brille tous les jours blesse mes yeux et mon cœur également. Ce matin, j’ai ressenti une joyeuse surprise en voyant les rues et les toits blancs de neige ; mais elle a vite disparu, déjà les promeneurs circulent à pied sec le long de l’avenue des peupliers.