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— Tout cela, lui dis-je, n’est pas moins incompréhensible pour moi que pour vous.

Alors il me laissa la copie du testament afin que je pusse le lire à tête reposée avant de prendre une décision.

— Si vous êtes majeure, ajouta-t-il, et n’avez par conséquent besoin d’aucune autorisation, permettez-moi de vous conseiller d’y réfléchir mûrement et de ne pas refuser à la légère un don pareil. Je reviendrai dans quelques jours.

Il faut que je sorte ; je ne puis rester dans la même chambre que ces feuilles de papier qui sentent la fièvre. Je les relirai plus tard. Sans nul doute, cet héritage doit appartenir aux pauvres de Méran.

Le 25 novembre.

C’est le dernier coup ; il a si bien ébranlé l’arbre jusque dans ses racines, qu’un orage n’est plus nécessaire pour le renverser, la main d’un enfant le jetterait par terre. Faut-il que le malheur me soit venu du côté où je me croyais le plus assurée de trouver aide et secours !

J’ai rencontré enfin Morrik aujourd’hui. On lui avait parlé du testament ; il n’avait pas douté de mon refus. J’éprouvai le besoin de lui tout raconter ; je tenais à lui prouver combien le pauvre fou m’était indifférent. J’insistai sur l’effroi qu’il m’avait inspiré, sur le danger de laisser libre un homme évidemment privé de sa raison et tout à fait incapable de comprendre la portée de ses actes et de ses paroles.

— Vous êtes dans l’erreur, chère Marie, me dit Morrik ; il n’était pas plus fou que moi, qui suis assis près de vous et ne vous cause aucune frayeur. Et n’a-t-il pas sur moi un avantage ? Son cœur est délivré de ce qui oppresse encore le mien.

— Je ne vous comprends pas, repartis-je, et vraiment je ne comprenais pas du tout.

— Mieux vaut me taire, reprit-il ; à quoi cela nous mènerait-il ? Après un moment de silence, il ajouta : — Non, je ne vois pas quel bon résultat pourrait avoir mon silence. Vous vous imagineriez quelque chose de pire. Est-on indigne de pitié, comme vous paraissez le croire, lorsqu’en face de la tombe s’offre à nos yeux un bonheur qui embellirait notre vie, si ce n’était trop tard ? est-on indigne de pitié parce que du fond de notre cœur sort un cri de désespoir et de colère, parce qu’avant de mourir on voudrait pouvoir serrer dans ses bras sa fiancée, exhaler sur ses lèvres son dernier soupir ? Voilà ce qui est arrivé à ce pauvre jeune homme, qui maintenant dort déjà, et c’est ainsi…

Il s’arrêta, me regardant. La promenade était déserte ; il saisit