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triste sourire. Croyez-vous que la plupart de nos compagnons d’infortune deviennent jamais de vifs et joyeux papillons ? En tout cas, ce ne sera certainement pas sur cette terre.

Pour le tirer de ses sombres pensées, je me mis à lui décrire les usages de ma petite ville natale, où l’existence patriarcale, mais étroite et monotone, pèse d’un poids si lourd ; je lui dis combien je me sentais soulagée et libre depuis que je me savais incurable, qu’il me semblait être comme un condamné à mort qu’on vient délivrer de ses chaînes. Il m’écoutait avec intérêt, quoique d’un air incrédule. Lorsque je me tus…

Le lendemain.

Je fus bien désagréablement interrompue hier au milieu d’une phrase. Ma porte s’ouvrit tout à coup, et l’officieuse sœur de charité, la dame sans nerfs, se précipita dans ma chambre avec une figure grave et solennelle qui ne m’annonçait rien de bon. Elle ne se donna pas le temps de reprendre haleine, s’assit sur le canapé, et, sans préambule, commença son discours, longue diatribe contre mon ingratitude, ma légèreté, mon inexcusable conduite vis-à-vis de la société du Wassermauer, mes imprudentes et coupables relations avec un homme dont on ne connaît ni les antécédens ni les mœurs, qui, ayant déjà un pied dans la fosse, pouvait se faire un jeu de compromettre l’avenir d’une jeune fille.

Devant ce déluge d’accusations, je demeurai comme pétrifiée ; mon cœur battait si fort qu’il me fut d’abord impossible de répondre un seul mot. Cependant, comme elle se taisait en me foudroyant de son regard, je repris courage, et tout en la remerciant de sa sollicitude, inspirée sans doute par d’excellentes intentions, je lui déclarai que ma conscience ne me reprochait pas la moindre faute, que, n’ayant plus que peu de temps à vivre, je ne me croyais nullement obligée de me préoccuper des atteintes de la médisance, et que j’étais venue à Méran non pour quêter les suffrages d’une société qui m’est tout à fait étrangère, mais pour passer mes derniers jours de la manière la plus agréable et la plus conforme à ma nature. Elle se leva d’un air digne qui contrastait singulièrement avec sa large face et ses boucles blondes. — Adieu, mon enfant, dit-elle ; vous êtes tellement indépendante, que ce serait une indiscrétion d’insister davantage. — Puis elle sortit brusquement.

Triste monde, plein de petitesses et de misères ! N’y a-t-il pas un coin où une pauvre créature puisse mourir à sa façon ? Il se peut que je ne sois pas très raisonnable ; mais il faut du temps pour le devenir, et je n’ai pas de temps à perdre. Peut-être serait-il plus sage de ne pas braver l’opinion, de me soumettre à ses exigences.