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MÉRAN
JOURNAL D’UNE JEUNE MALADE


Méran, le 5 octobre 186…

Depuis huit jours, je n’ai pas écrit une seule ligne. J’étais si fatiguée de mon voyage ! Et puis, je ne sais, au lieu d’idées il ne me vient que des larmes. Hélas ! il m’est bien permis de pleurer en songeant que je n’aurai contemplé cette belle nature que pour lui dire mon dernier adieu.

Ne ferais-je pas mieux de fermer cet album et d’en laisser les pages blanches ? De quoi puis-je les remplir, sinon de plaintes inutiles ? Il me semblait que ce serait une consolation pour moi d’y déposer toutes les pensées que m’inspirera ce dernier hiver qui me reste à vivre. Je voulais léguer ce souvenir à mon frère, à mon cher petit Ernest, encore trop jeune pour comprendre ce que c’est que la vie, ce que c’est que la mort, afin que plus tard il pût connaître sa sœur, lorsque personne ne sera plus là pour lui en parler ; mais, je le vois bien, c’était une folie. À quoi bon lui léguer l’image d’une pauvre mourante ? Qu’il m’oublie plutôt que de graver dans sa mémoire ces traits pâles qui me font peur à moi-même quand je les vois réfléchis par mon miroir !

Le soir du même jour.

J’ai passé deux heures à ma fenêtre. La vue s’étend au loin sur le beau pays d’Etschland, sur les murailles de la ville, sur l’allée de peupliers qui orne la chaussée le long des bords du Passer, au-delà, sur les prairies où les troupeaux paissent l’herbe arrosée par maints petits ruisseaux, enfin jusque sur les montagnes dont la chaîne variée ferme l’horizon. L’air était parfaitement calme, je pouvais distinguer les voix des promeneurs au jardin du Wassermauer. Les enfans de mon hôte le tailleur regardaient, curieuse-