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puisque l’ouvrier prend sa part des bénéfices sans supporter sa part des pertes; l’autre, d’encourager l’immixtion des travailleurs dans la direction des entreprises. Le premier de ces griefs, nous pouvons l’abandonner, le second, nous n’hésitons pas à le retenir. On a inventé un grand nombre de combinaisons pour rendre l’ouvrier associé passible des pertes que l’établissement pourrait subir, et on a presque réussi dans cette difficile tâche; mais en même temps l’on a singulièrement compromis l’efficacité du système. Dans quelques établissemens, les bénéfices octroyés aux ouvriers ne leur sont pas immédiatement distribués, ils constituent un fonds de réserve qui devrait contribuer à combler le déficit, s’il venait à s’en produire; dans d’autres maisons, il est stipulé qu’en cours d’entreprise, le compte collectif des ouvriers sera crédité d’une part de bénéfice dans les bonnes années et débité d’une part de perte dans les années mauvaises. Ce sont là des expédiens ingénieux, mais ils diminuent singulièrement l’influence pratique du régime de la participation sur le travail et la conduite du personnel des usines. Croit-on en effet que l’esprit de l’ouvrier puisse être vivement frappé et surexcité par la perspective d’accroître un fonds commun exposé à une foule de risques, et sur lequel il n’aurait qu’une part infinitésimale de propriété? Croit-on surtout qu’après une année mauvaise ou médiocre, qui n’aurait permis d’allouer aucune somme au compte collectif des ouvriers, ceux-ci continueraient à user de toute leur vigueur, de toute leur attention, de tous leurs soins, sans se laisser atteindre par le découragement?

D’autres objections beaucoup plus graves doivent être adressées au régime nouveau. Jusqu’ici, la participation n’a pas fonctionné comme système général d’organisation du travail, elle n’existe que comme une anomalie; elle a été établie d’autorité dans quelques rares maisons. Les industriels qui l’ont constituée s’en sont fait un titre à la reconnaissance du personnel qu’ils emploient; leur influence morale y a gagné, ils ont pris la position d’initiateurs. A vrai dire, la participation telle qu’on la rencontre actuellement est une institution de patronage, toute paternelle, presque patriarcale; ce n’est pas une association véritable où toutes les parties aient des droits, des devoirs, des garanties réciproques. « Je n’admets pas, dit M. Charles Robert, l’immixtion des ouvriers, sous prétexte de contrôle, dans le détail des comptes. Au moment de l’inventaire, le patron en présente les résultats ; il affirme les chiffres d’ensemble par une déclaration qui engage son honneur. Si les ouvriers prétendent que ce n’est pas assez, je réponds que la participation aux bénéfices est un régime fondé sur la confiance, la loyauté et la bonne foi... Tout se passe en famille dans la maison. » — « Il ne s’agit pas, à vrai dire,