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pleine confiance. C’est par ces mœurs, plus encore que par ces institutions, qu’il a été possible à cette association de patron et d’ouvriers d’arriver à une situation unique dans le monde industriel. La maison Leclaire fait aujourd’hui pour 1,500,000 francs d’affaires par an : c’est un chiffre élevé pour une pareille profession.

Un certain nombre de fabricans se sont mis, depuis quelques années surtout, à adopter le même système. Deux entrepreneurs de peinture, M. Lenoir et M. Voiron, ont voulu imiter leur confrère. Ils ont organisé, eux aussi, dans leurs ateliers, le régime de la participation aux bénéfices. L’avenir seul démontrera si cette émulation aura été prudente; nous n’avons aucune répugnance à croire au succès de ces tentatives dans une semblable industrie. Un facteur de pianos, M. Bord, a recouru aussi à l’association des ouvriers aux profits de l’entreprise; il l’a même établie d’une manière plus démocratique encore et plus large que les autres industriels parisiens. Dans la maison Leclaire en effet, les ouvriers associés forment seulement une élite; quoique le système y fonctionne depuis près de trente ans, — sur un personnel de plus de 300 ouvriers, on n’en compte que 90 qui participent aux bénéfices. La proportion est la même dans les autres établissemens que nous avons cités; chez M. Voiron, 15 ouvriers seulement sur 65, et chez M. Lenoir 20 sur 60 sont associés. M. Bord est moins exclusif. Il admet à la participation tous ceux qui prennent part à l’œuvre commune, depuis le premier employé jusqu’aux hommes de peine et au concierge. Des dividendes, qui ont varié de 10 à 20 pour 100 du montant des salaires, c’est-à-dire de 180 à 360 francs, ont été répartis dans ces quatre dernières années aux ouvriers et employés de cette fabrique de pianos.

Que conclure de ces précédens? quelles espérances fonder sur la réussite de ces premiers essais? Faut-il, comme beaucoup de publicistes, croire à la rénovation de notre monde industriel, à l’apparition d’un nouvel ordre social, parce qu’un mode ingénieux d’organisation du travail se sera montré efficace dans un champ restreint? Ce serait pousser bien loin les démonstrations par analogie. Il convient, croyons-nous, d’être plus réservé et plus modeste, et de tirer de moindres conséquences de faits aussi circonscrits et aussi peu variés. L’examen attentif des circonstances qui ont favorisé l’essor de la maison Leclaire nous mettra en garde contre ces entraînemens auxquels le public superficiel n’est que trop sujet. Ce qui nous frappe d’abord, c’est que dans la peinture en bâtiment la main-d’œuvre joue vis-à-vis du capital un rôle très prépondérant. Ce que sont dans une pareille industrie les ateliers, les ustensiles, les frais généraux, il n’est personne qui ne puisse facilement s’en rendre compte. Il n’y a pas là de ces établissemens énormes, munis de ma-