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lement un salaire proportionnel à la quantité d’ouvrage qu’il a exécutée, mais en outre une prime dont l’importance est variable. Si l’on nous permet d’appliquer au salaire une expression consacrée en matière d’impôts, ce système de primes constitue le salaire progressif en ce sens que l’ouvrier qui a produit deux fois plus que ses camarades reçoit une rémunération qui n’est pas seulement deux fois plus forte, mais deux fois et demie ou trois fois. Il n’est guère d’industrie qui ne puisse admettre de pareilles combinaisons, dont le mérite est de varier à l’infini et de pouvoir se superposer les unes aux autres. Dans certains établissemens métallurgiques, il y a des primes pour la quantité de fer fabriqué, il y en a d’autres pour l’épargne de la fonte et de la houille qui ont servi à produire cette quantité de fer. Dans les industries textiles, les fileurs comme les tisseurs peuvent bénéficier de ce régime. Il y a des fabriques de toile où l’ouvrier qui a tissé dans sa quinzaine une pièce au-delà du nombre déterminé reçoit une prime de 2 francs; celui qui a tissé ainsi deux pièces de toile supplémentaires a droit non-seulement à deux primes de 2 francs chacune, mais encore à une troisième prime de 1 franc. Le taux de cette rémunération accessoire change suivant les industries; quelquefois il est assez faible, d’autres fois il prend des proportions considérables. Plus le capital tient de place dans une fabrication, plus ces primes peuvent être importantes. L’influence de ces encouragemens est démontrée par l’expérience et par le témoignage des hommes qui tiennent la tête de l’industrie en France. En 1851, l’usine du Creuzot ne produisait que 18,306 tonnes de fer; on y introduisit sur la plus large échelle un système de primes pour stimuler le zèle de l’ouvrier : dès lors la production s’éleva, en 1852, à 24,000 tonnes, à 33,000 en 1853, à 36,000 en 1854, puis à 42,000 en 1858, et c’est principalement à une plus grande énergie de la main-d’œuvre que l’on attribue cette marche ascendante. Il en est de même dans les usines de Terre-Noire. L’habile directeur de cet établissement, M. Euverte, y organisa le régime des primes en 1858 : la production, qui était alors de 13,000 tonnes, ne cessa de croître et atteignit 34,000 en 1868; ce progrès, M. Euverte l’attribue exclusivement au système adopté pour le règlement de la main-d’œuvre, aussi favorable aux ouvriers qu’aux patrons. M. Charles Robert préconise à bon droit cette organisation du travail, il espère la voir se répandre et devenir un fait général; mais il croit découvrir dans ces primes une forme de la participation aux bénéfices, et c’est comme telles qu’il les recommande. Il cite à l’appui de sa thèse tous les établissemens qui admettent ce mode de rétribution supplémentaire. Il part de là pour conclure que l’association de la main-d’œuvre aux profits de l’entrepreneur est déjà en vigueur dans un grand nombre d’usines de France. Il y a là une