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vrier aux bénéfices du patron a dégénéré en une haine aveugle contre le salaire, « ce pelé, ce galeux, d’où venait tout le mal. » Ceux-là comparent le salariat au travail à coups d’étrivières de l’esclave antique ou au labeur forcé du serf au moyen âge; d’autres, plus rassis en apparence et de meilleure composition, sans jeter l’anathème contre le mode de rétribution actuellement en usage, exaltent avec enthousiasme le mérite de ce qu’ils appellent le « nouveau contrat. » De même que les Israélites, traversant le désert pour gagner la terre promise, retrouvaient l’espérance et la vigueur quand ils portaient leurs regards sur le serpent d’airain, ainsi ces docteurs et ces apôtres nouveaux ne puisent de consolation et de force que dans la contemplation de « ce drapeau de l’avenir, » sur lequel sont écrits ces mots pleins de promesses : « association de l’ouvrier aux profits de l’entrepreneur. » Des hommes très judicieux, qui ont marqué dans la science et dans la politique, Rossi et Léon Faucher en tête, ont donné une adhésion plus ou moins formelle et réfléchie à cette formule si en faveur de nos jours. Des autorités d’un autre genre et dont l’opinion importe davantage à nos sociétés, des souverains ou des prétendans à la souveraineté, l’empereur Napoléon III, M. le comte de Chambord et M. le comte de Paris, ont cru devoir également manifester leur croyance à ce dogme démocratique de la participation.

On se propose ici d’examiner dans quelle mesure ces espérances sont légitimes, quelle est la proportion d’illusions qu’elles contiennent et de déceptions qu’elles préparent. C’est avec une entière liberté d’esprit que nous abordons cette étude : nous ne sommes pas de ceux qui cheminent avec contentement dans l’ornière du passé, et qui s’interdisent l’entrée de tout chemin non frayé par la foule ; mais nous devons avouer, comme une faiblesse inséparable de notre nature, une défiance instinctive de ces guides audacieux qui, de prime abord, sans avoir sondé le terrain sur toute son étendue, nous introduisent en des contrées inconnues, où l’on court le risque de rencontrer des fondrières et de s’abîmer dans des précipices. N’est-ce pas un devoir de prudence d’interroger attentivement le pays où l’on veut nous engager et de ne pas nous jeter en des aventures dont nous n’apercevrions pas clairement l’issue? Dans cet examen du système de la participation aux bénéfices, c’est aussi peut-être une bonne fortune d’être assisté par un explorateur érudit, M. Charles Robert, qui, dans une étude substantielle, a mis sous nos yeux tous les exemples, tous les modèles qui militent en faveur de cette nouvelle organisation du travail. Ce ne sont pas seulement des théories, ce sont des faits vivans qui sont soumis à notre investigation; c’est à la fois une garantie et une difficulté pour la critique, qui est plus sûre et qui doit être plus circonspecte.