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précisément ce qu’on appelle en général le droit des minorités. Nous demandons à la fois moins et plus. Le droit des minorités, tel qu’on le comprend communément, est encore quelque chose de vague et d’indéfini. Qu’est-ce a priori qu’une minorité? Une minorité peut être, à peu de chose près, aussi forte que la majorité; elle peut aussi n’être qu’une mince partie de la nation. Et puis il peut ne pas y avoir qu’une seule minorité dans un pays : à l’état naturel, — par opposition aux coalitions imposées par une loi inflexible, — il y a toujours dans toute nation plusieurs minorités, et ces minorités sont de proportions différentes entre elles, de proportions variables à l’égard de la majorité. Définir d’une manière absolue la minorité, déterminer a priori son droit, lui tailler d’avance sa part de représentation, c’est donc faire acte d’arbitraire, c’est courir presque forcément la chance ou de rogner cette part ou de l’exagérer, ou de n’accorder aux minorités réelles qu’une satisfaction dérisoire, ou de les favoriser au contraire au-delà de toute justice.

Voyez plutôt les deux systèmes qui eurent en Angleterre, il y a deux ans, au sein du parlement, les honneurs d’une discussion publique et sérieuse ; voyez les deux systèmes du vote cumulatif et du vote incomplet. Quiconque a le moins du monde suivi les débats du parlement anglais durant la session de 1867 sait aussitôt de quoi nous voulons parler. Le vote cumulatif, discuté et finalement repoussé par la chambre des communes, consiste en ceci : dans un collège où l’on a plusieurs députés à élire, trois par exemple (ce que l’on appelle en Angleterre collège à trois coins), chaque électeur, disposant de trois suffrages, peut les appliquer tous les trois, s’il le veut, à un seul candidat. Le tiers des électeurs, s’entendant ainsi pour réunir ses voix sur un seul et même nom, est assuré d’emporter une élection et d’obtenir 1 représentant sur 3. Quant au vote incomplet, adopté au contraire par la chambre des lords et accepté par la chambre des communes pour les collèges à trois coins, voici son mécanisme : sur 3 députés, chaque électeur ne peut désigner et inscrire sur son bulletin que deux noms. Un tiers de la représentation reste donc à la disposition de la minorité, qui se l’approprie, à la condition de former le tiers du corps électoral et de s’accorder sur le choix du candidat. A première vue, rien de plus séduisant. Un tiers des électeurs a droit à un tiers de la représentation : c’est excellent, c’est parfait, car c’est proportionnel; mais prenons garde, les apparences sont peut-être trompeuses.

Quelles sont les conditions absolument indispensables à l’exercice du vote accumulé? Il faut avant tout que les diverses minorités, renonçant à leur existence propre, à leurs préférences légitimes, à leurs candidats les plus aimés, se fondent en une seule minorité, car deux armées seules peuvent se trouver en présence, deux ar-