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dépens, en la personne des électeurs du second degré, un corps de privilégiés qui ne relèveront que de leur conscience et n’en feront qu’à leur tête, qui nous garantit que la représentation nationale ne sera pas l’expression de la minorité de la nation? Et si, comme tout le rend probable, la pratique du système tombe dans la seconde hypothèse, si les électeurs du second degré sont réduits au rôle machinal d’intermédiaires passifs, qu’y aura-t-il de changé au système actuel? Il y aura une opération de plus, mais le résultat final sera identiquement le même; ce sera toujours le même jeu de la majorité absorbant la représentation, et les mêmes dangers, les mêmes iniquités naissant des mêmes causes.

Mais voici qu’on nous offre un troisième remède. C’est l’opinion radicale qui nous le présente. Serait-ce enfin la guérison? Examinons. Ce remède, c’est le scrutin de liste! En vérité, voilà ce qu’on nous donne sous couleur de progrès et de liberté! Le scrutin de liste! Peut-être s’étonneront-ils de notre véhémence, ceux qui ne reprochant à ce système que la difficulté pour l’électeur de connaître et de nommer un certain nombre de candidats. Ce n’est là pour nous que le moindre défaut du scrutin de liste : il est surtout l’exagération, la multiplication fatale des erreurs et ces injustices du régime sous lequel nous votons. Que reprochons-nous au système en vigueur? De tuer le droit par le nombre, d’écraser l’individu par la majorité, de diviser les citoyens, de forger les coalitions, d’engendrer l’abstention, le désintéressement et l’indifférence. Que fait donc le scrutin de liste? sur quelle base nouvelle, sur quel principe réparateur voyons-nous donc qu’il repose? Avec le scrutin de liste, comme avec le vote uninominal, c’est la majorité seule qui compte, c’est la majorité seule qui accapare la représentation. Seulement ici le triomphe de la majorité dans chaque collège ne porte pas sur un seul nom, c’est une liste entière, c’est une série complète de représentans que la majorité absorbe d’un seul coup. Cette pauvre chance qui, même dans le système actuel, reste à la minorité de se trouver par hasard la plus forte dans une circonscription, étant battue d’ailleurs dans les dix ou quinze circonscriptions voisines, cette pauvre chance, le scrutin de liste la réduit à néant par ce seul fait, qu’il embrasse du même coup ces dix ou quinze circonscriptions. C’est en bloc que la majorité triomphe, c’est en bloc que la minorité est anéantie. La voix d’un membre de la majorité vaut dix ou quinze votes, la voix d’un membre de la minorité ne vaut pas un fétu. Dès lors n’est-il pas rigoureusement vrai de dire que le despotisme de la majorité, avec le scrutin de liste, croît à la dixième, quinzième, vingtième puissance, suivant qu’il s’exerce sur des listes de dix, de quinze ou de vingt noms? Ainsi donc, avec le scrutin de liste, plus que jamais il faut, pour exister, être le plus grand nom-