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votes ; non, s’il faut encore satisfaire à quelque autre principe de justice et de raison. Or, pour nous, la réforme électorale en pareil cas, loin d’être achevée, ne serait même pas ébauchée. Du côté de la morale, on aurait fait un grand pas ; du côté de la sincérité, de la vérité, de la justice, on n’aurait pas avancé d’une ligne. La représentation nationale n’en serait pas moins faussée dans son principe et dans ses effets. C’est là une vérité que nous voudrions ardemment rendre aussi claire pour tout le monde qu’elle est éclatante à nos propres yeux.


II.

Avant tout, il nous faut démêler deux principes, deux droits, dont la confusion invétérée cause tout le mal : le droit de décision et le droit de représentation. Expliquons-nous.

Lorsqu’il s’agit, dans une assemblée quelconque, de prendre une décision, il est de toute nécessité que cette décision appartienne au plus grand nombre. Que la majorité exigée soit de la moitié des voix plus une, ou des deux tiers, ou des trois quarts des voix, il n’en est pas moins vrai que le seul moyen d’arriver à une solution, c’est que la majorité décide. Nous voici trente personnes réunies, on nous pose une question : ceci est-il blanc ou noir ? Quatorze d’entre nous répondent blanc, seize répondent noir. Il est clair que la réponse de ces seize derniers doit l’emporter et faire loi. Pure question de fait qu’il faut trancher pratiquement et sur l’heure ! Au sein d’un état démocratique où le gouvernement serait absolument direct, il faudrait bien aussi que dans les assemblées populaires le verdict de la plus forte partie fût souverain. Point d’autre issue possible ; c’est une nécessité matérielle : le droit de décision n’a et ne peut avoir d’existence en dehors de la majorité.

Mais le droit de représentation ! Nous voici, comme tout à l’heure, trente personnes réunies. Seulement cette fois nous n’avons plus à résoudre la question par nous-mêmes, hic et nunc. Nous avons à choisir trois délégués qui, dans une autre enceinte, délibéreront pour nous, parleront pour nous, discuteront pour nous, décideront pour nous, trois hommes qui seront d’autres nous-mêmes, et, pour tout dire en un mot, nos représentans. Ces trois représentans, à qui doivent-ils appartenir ? À nous tous évidemment, à nous tous en général, et à chacun en particulier, mais non pas à une partie d’entre nous, fût-ce à la partie la plus nombreuse et la plus forte. Il ne s’agit pas ici en effet de trancher une question, il ne s’agit surtout pas de décider lesquels d’entre nous doivent être représentés. Chacun de nous a un droit égal à être représenté, et ce droit, inatta-