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culture aux Philippines, c’est le manque de bras. La richesse même du sol en est la cause. L’Indien n’a pas besoin de travailler pour vivre : dans le petit coin de terre qui entoure sa case pousse à l’envi, sans pour ainsi dire qu’il s’en occupe, tout ce qui est nécessaire à son existence, en assez grande quantité non-seulement pour suffire à ses besoins, mais encore pour lui faire un petit revenu. Il ne tient pas à s’enrichir, et, riche, il ne sait pas jouir de sa fortune; rien d’étonnant par conséquent s’il ne cherche pas à travailler, surtout pour le compte d’un autre.

Pour remplacer les Indiens, on a voulu attirer les Chinois en offrant des avantages à ceux qui se feraient laboureurs. Cette mesure a eu peu de succès. Le Chinois, né marchand, trouve son intérêt à rester dans les villes, où il exerce le petit commerce à peu près sans concurrence; la proportion des Chinois laboureurs aux Chinois commerçans est de un à quarante. Les propriétaires sont donc obligés, pour cultiver leurs terres, de ne compter que sur les Indiens ; mais ils ont de la peine à en trouver et à les retenir : ils peuvent toujours craindre de voir leurs ouvriers les quitter inopinément, d’où il résulte qu’ils reculent devant toute entreprise considérable. S’ils ont di grandes haciendas, ils en laissent une partie en friche ou ils cherchent à les louer par petits morceaux. L’agriculture languit, et le commerce ne peut manquer de s’en ressentir.


III.

Il s’en faut de beaucoup que l’Espagne règne en souveraine sur toute l’étendue des territoires qu’elle regarde comme lui appartenant. L’œuvre de la conquête, qui s’est accomplie par les patiens travaux des missionnaires bien plus que par les armes, a été lente, et ne s’est même pas étendue à toute l’île de Luçon. Néanmoins les tribus qui dans cette île maintiennent encore leur indépendance sont des ennemis peu dangereux; si de loin en loin elles commettent quelques excès, de petits corps de troupes les mettent promptement à la raison. Les missionnaires travaillent parmi elles avec ardeur, et tout porte à croire que, dans un temps plus ou moins éloigné, la population tout entière de la grande île sera chrétienne et soumise. Il en est tout autrement au sud de l’archipel. Là, les peuplades mahométanes de Mindanao et de Joló ont toujours opposé à la prédication du christianisme une invincible résistance, et ont été longtemps pour l’Espagne des ennemis redoutables.

Après quatre siècles écoulés, la situation des Espagnols dans Mindanao est à peu près la même qu’aux premiers jours où Magellan