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vento nous sommes introduits par un bel escalier en azulejos[1] dans de vastes pièces où le curé nous présente aux dames de la municipalité.

Malgré le gracieux accueil de don Salvador Elio, le chef-lieu de sa province n’a pas de quoi nous retenir longtemps. Nous reprenons le même jour la route de Tanáuan. Les chemins sont défoncés par les pluies, et la nuit nous surprend bien avant que nous ayons atteint le premier village important qui se trouve sur notre route, San-José. A travers les parois de bambou des cases indiennes, on voit vaciller de pâles lumières, et l’on peut saisir en passant le murmure des voix de la famille, qui récite en tagal ses prières du soir. C’est grâce aux attelages du curé de San-José que nous parvenons à gagner Lipa. Un autre père augustin nous y loge pour la nuit dans un antique couvent où le gecko[2] fait retentir sa voix sonore, et où l’on entend l’iguane[3] se promener à pas lents dans les combles.

Lipa est peuplé de 27,000 habitans. La situation élevée qu’occupe ce village y rend la température délicieusement fraîche. On récolte beaucoup de café aux environs. Les plantations ressemblent un peu à des bois incultes, car on laisse pousser à côté des plants (on prétend que c’est pour leur donner de l’ombre) quantité d’autres arbustes qui doivent leur nuire; le café néanmoins est d’excellente qualité; malheureusement cette culture, comme tant d’autres, est encore trop peu répandue.

Nous regagnons Manille en traversant le lac de Bay dans un de ces gros bateaux plats qu’on nomme cascos. Le passager n’étant que l’accessoire, le chargement prend toute la place : on ne peut s’y tenir que couché sous la barre du gouvernail ; mais par un grand vent d’orage qui enfle nos énormes voiles de paille nous allons plus vite, et nous nous trouvons mieux que dans une banca.

Il est difficile de voir un pays à la fois plus beau et plus varié que ces provinces centrales de Luçon que nous venons de visiter. Dans la montagne, à côté des forêts qui fournissent les plus beaux bois de construction, la température reste assez fraîche, même pendant la saison des chaleurs, pour que des cultures importées d’Europe, celles du blé, de la pomme de terre entre autres, puissent réussir à merveille. Toutes les plantes des régions tropicales y poussent en abondance : le riz, le sucre, le cacao, le coton, l’indigo dans les plaines, le café sur les collines; mais il s’en faut de beaucoup que ce pays soit cultivé comme il devrait l’être, et qu’on en obtienne tout ce qu’il pourrait donner. La grande pierre d’achoppement de l’agri-

  1. Carreaux de faïence mauresque, comme on en voit en Espagne.
  2. Espèce de lézard.
  3. Autre espèce de lézard plus grand qui a de 3 à 4 pieds de long.