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tributo payé par l’Indien. En outre, pour établir boutique, il est obligé d’acheter une patente dont le prix maximum est de 100 piastres : heureux s’il n’a pas à subir d’autres extorsions, et s’il ne finit pas par être expulsé soudainement!

Ce ne sont pas les règlemens seuls qui pèsent sur les Chinois, ils sont encore l’objet des haines de la population indienne. L’Indien a pour le Chinois le mépris des Orientaux pour tout ce qui travaille; il est de plus jaloux de le voir réussir là où lui-même échoue. Il ne laisse échapper aucune occasion de lui nuire; dans la rue, on voit le coulie chinois bousculé et frappé impunément; dans la maison, le domestique chinois est le souffre-douleur des Indiens. Y a-t-il quelque chose de cassé, d’égaré ou qui ne soit pas dans l’ordre, à qui la faute? Je connais d’avance la réponse de mes Tagals : el Chino, señor; c’est toujours le Chinois. Toutes ces vexations pourtant n’ont point éloigné les Chinois, heureusement pour les Philippines, car non-seulement ils sont utiles à la colonie par leur travail, mais encore ils y multiplient, par leurs alliances avec les femmes indiennes, la race des métis sangleys, qui a hérité de beaucoup de leurs qualités. Cette race est peut-être destinée à devenir un jour la population dominante de l’archipel et à en développer les immenses ressources.

Mais revenons chez le curé de Taal. Il a convoqué, pour égayer la soirée du convento, les dames de la municipalité. Elles nous font en entrant leur demi-génuflexion à la manière indienne, et toutes à la fois nous saluent, sur le ton chantant qui leur est propre, de ces trois mots tagals : maganda gabi, po (bonsoir, maître). Elles exécutent sur le piano avec une certaine facilité des airs espagnols et tagals auxquels nous applaudissons. Vient ensuite un spécimen de leur chant; mais la voix nasillarde de leur race n’est pas faite pour des oreilles européennes.

Le 20 juin, l’alcade-mayor nous emmène à Batangas, chef-lieu de la province, quoique beaucoup moins important que Taal. Au grand galop des quatre poneys blancs de l’alcade, nous traversons un pays riche en cultures et parsemé de collines boisées. Partout nous sommes accueillis par les démonstrations des indigènes et par des feux d’artifice qui partent en plein jour entre les jambes de nos chevaux. A Báuang, village de 35,000 âmes, toute la population est dehors; la municipalité se présente, le curé en tête. Il nous faut descendre de voiture, et l’on nous place sous un dais porté par quatre jeunes Indiennes richement vêtues. Une cinquième exécuta devant nous, un drapeau à la main, des pas semblables à la danse compassée des pages de la cathédrale de Séville devant le saint-sacrement. Nous suivons ainsi, musique en tête, dans toute sa longueur, la grande rue, pavoisée d’étoffes de toutes couleurs. Au con-