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curés européens appartiennent à l’un des quatre ordres monastiques qui se sont partagé les Philippines : augustins, récollets, dominicains et franciscains. Beaucoup d’entre eux ont passé les années de leur jeunesse à évangéliser les tribus sauvages, et achèvent leur vie au milieu des populations chrétiennes converties par leurs prédécesseurs. Les ordres monastiques étant abolis en Espagne depuis plus de trente ans, chacun de ces quatre ordres n’a plus dans la péninsule qu’un séminaire qui envoie aux Philippines des missionnaires et des curés. Ces hommes, en se faisant moines, renoncent à leur pays natal et à tout espoir d’y revenir; ils se consacrent désormais à cette nouvelle patrie, qu’ils vont chercher au-delà des mers, avec tout le zèle de gens qui n’ont plus rien autre au monde ; ils prennent les habitudes du pays, en apprennent la langue, et, vivant seuls au milieu des Indiens, se font pour ainsi dire Indiens eux-mêmes. C’est là le secret de leur influence. Les ordres religieux, en envoyant leurs membres dans ce pays lointain auquel ils se dévouent sans réserve, leur ont assuré une existence proportionnée à l’importance de leur mission. Quelque peu considérable que soit le village, quand même il ne se compose que de cases de bambou, deux édifices sont invariablement en pierre et de dimensions monumentales : l’église et la maison du curé (el convento).

Le père Torres, curé d’Aráyat, n’est pas des plus mal partagés sous ce rapport. Le spacieux convento du village est entouré d’un jardin où abondent les plus belles plantes du pays. Devant la porte, un ilang-ilang[1] en pleine fleur pousse ses rameaux jusqu’au toit, remplit l’air de son parfum pénétrant. Un chemin mène du convento au mont Aráyat sous des ombrages de bambous, de mimosas, de cent arbres nouveaux pour nous. Sur le flanc boisé de la montagne, à côté d’une source digne de la Suisse, le padre s’est construit une maison d’agrément (casita de recreo). La source alimente un grand réservoir destiné au bain. On est voisin de l’épaisse végétation qui couvre l’Aráyat, et l’on voit au pied les maisons du village dispersées dans la verdure. Quel charme on éprouve à explorer cette belle nature, à gravir ces pentes escarpées ! Gardons-nous toutefois de porter la main aux branches des grands arbres, car parmi eux se trouve l’ortie des Philippines; la brûlure qu’elle inflige est en proportion de la taille extraordinaire de cette plante.

Nous trouvons en rentrant la table de la capitana Sirlang richement servie; un daim tué dans les bois des environs en est la pièce de résistance. La maîtresse du logis et ses filles ne prennent point part au repas; elles se tiennent debout derrière nous pour surveiller

  1. Unona odoratissima.