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nous tête basse sans pouvoir articuler un mot. Notre hôte vint à leur secours en leur traduisant notre espagnol en dialecte pampango[1].

Nous sommes au mois d’avril; c’est à la fois le moment de la plantation et de la récolte de la canne à sucre. Tout l’ingenio[2] de M. Martinez est en activité. Ici, l’on coupe de la canne une bouture longue de 10 centimètres qu’on enfonce dans le sol; là, une petite machine à vapeur en plein vent, que manœuvrent des Indiens et des Chinois, écrase la tige comme dans un laminoir et en exprime le jus; plus loin, on fait subir au précieux liquide plusieurs cuissons successives, puis on en remplit des vases en terre de la forme d’un pot à fleurs qu’on nomme pilones. Lorsque le sucre a durci, on débouche le fond des vases afin d’en laisser couler la mélasse, qui s’emploie soit à la fabrication du rhum, soit à un breuvage pour les chevaux : les poneys tagals n’aiment que l’eau sucrée. La canne dont on a exprimé le jus est séchée au soleil, et sert à alimenter les fourneaux de l’usine. Le sucre figure dans les exportations de Manille pour plus de 3 millions de piastres (15,780,000 fr.); l’Angleterre et ses colonies, l’Australie surtout, en consomment plus des quatre cinquièmes. Le sucre des Philippines est toujours exporté à l’état brut. Il y a près de Manille des raffineries, mais on y purifie le sucre d’une manière imparfaite, car on ne voit pas de sucre blanc aux Philippines; on ne sert que des gâteaux spongieux et jaunâtres analogues aux azucarillos d’Espagne et qu’on appelle caramelos.

La plupart des ingenios des Philippines sont encore très primitifs; il n’y en a qu’un petit nombre où l’on se serve de la vapeur. Presque partout les moulins à broyer la canne sont de grossières machines mises en mouvement par des buffles, et l’on ne trouve guère d’établissemens montés sur une grande échelle. La culture du sucre est cependant de toutes les cultures des Philippines celle qui rapporte le plus, et n’est-ce pas dire beaucoup quand on parle d’une terre si merveilleusement fertile ?

La partie méridionale de la Pampanga est un des districts les plus peuplés et les mieux cultivés de l’île de Luçon. La campagne est plate, mais couverte de beaux arbres et d’une éclatante verdure. En quittant San-Fernando, nous prenons la route qui conduit à Aráyat par les villages de Mexico et Santa-Ana, tous deux d’environ 15,000 habitans. Les municipalités et les musiques se présentent au passage; il faut s’arrêter pour reconnaître leur bon vouloir. Le maire de Mexico sait l’espagnol, et s’empresse de nous

  1. A Manille et dans les provinces avoisinantes, on parle la langue tagale. Les provinces plus éloignées ont des dialectes qui en diffèrent un peu, mais ne sont toujours que des modifications de la langue malaise.
  2. C’est le nom que les Espagnols donnent aux exploitations de sucre.