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tenir compte du caleçon, qui disparaissait sous le costume ; toutefois, sur la colonne Trajane, on était déjà averti que les soldats romains en portaient ; à Pompéi, on constate que même les esclaves et les femmes du peuple avaient ce vêtement qui surtout alors était indispensable.

Pour achever de décrire notre Pompéienne, ajoutons qu’elle est grande, élégante, que sa jambe gauche, mieux rendue par le moulage, est bien prise et charmante, que le pied est admirablement cambré, qu’il est encore chaussé, que, pour marcher sur les pierres et les ruines, elle avait pris, parmi ses brodequins, ceux dont la semelle était plus forte. Une bague d’argent est à son doigt. Auprès d’elle, on a ramassé des boucles d’oreilles, un miroir d’argent et une statuette, faite d’un seul morceau d’ambre, représentant un petit amour. Ce petit amour est enveloppé d’un manteau ; sa chevelure forme sur le front trois rangs de boucles, et retombe nouée sur le dos d’une façon qui rappelle tout à fait les perruques à la Voltaire. Un bagage aussi singulièrement choisi dans un péril suprême, le voisinage d’une maison de prostitution, ont fait supposer que cette femme, coquette et habitant un quartier mal famé, était une courtisane. Les preuves sont légères ; laissons en paix, non pas les morts qu’il nous faut interroger toujours, mais leur mémoire.

Les trois autres cadavres étaient tombés en deux endroits différens. En avant marchait en éclaireur un homme d’un certain âge, le père peut-être des jeunes filles qui le suivaient, et qui sont mortes ensemble. Il tenait à la main les boucles d’oreilles de ses deux compagnes, quelques pièces de monnaie et la clé de la maison. Il est de basse condition, car il ne porte qu’une bague de fer au doigt. D’une taille au-dessus de la proportion ordinaire, il n’a pas loin de 6 pieds. Ses pommettes sont saillantes, ses sourcils très marqués ; sa bouche, surmontée de moustaches, lui donne l’air d’un vieux soldat ; les lèvres semblent faire un effort pour respirer, les paupières sont intactes, et les yeux ouverts comme s’il souffrait encore. Renversé sur le dos, ce géant a voulu se relever en s’appuyant sur le coude, et il a ramené sur sa tête un coin de son manteau pour se protéger soit contre la cendre, soit contre le gaz qui l’étouffait. L’expression est bien celle de la suffocation ; ainsi dut mourir Pline. Le manteau couvre la poitrine et le bras droit, tandis qu’un paquet d’étoffe sur le nombril annonce qu’il avait relevé ses vêtemens pour être plus leste. On voit donc ses jambes, maigres et vigoureuses, une sorte de caleçon collé à la peau, et des souliers garnis de gros clous.

Mais le spectacle le plus touchant ce sont les deux sœurs, qui couraient à quelques pas derrière ce colosse, se soutenant l’une