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tout petit enfant. Ces vingt personnes avaient cherché un abri dans des celliers bien connus, dont la solidité défiait les pierres ponces, le tremblement de terre et la chute même de la maison ; elles s’étaient maintenues instinctivement près de la porte, soit pour entendre ce qui se passait au dehors, soit pour se tenir prêtes à profiter des circonstances favorables. En effet, tant que les pierres et les cendres tombèrent, elles avaient été à l’abri ; elles se laissèrent même ensevelir dans leur asile par cette montagne qui obstruait les portes et tous les accès ; bientôt sans doute on viendrait à leur secours. Ce qui les perdit, ce furent les pluies torrentielles qui accompagnèrent et suivirent l’éruption. L’entrepôt de Diomède n’était qu’aux deux tiers construit sous la terre ; la partie supérieure, comme celle de nos sous-sols modernes, prenait du jour sur le jardin par une série de soupiraux grands et réguliers. Quand les pluies commencèrent à s’infiltrer à travers les 4 mètres de pierres volcaniques qui remplissaient les jardins, elles se précipitèrent par tous ces orifices, entraînant les cendres, la terre, les parties fines et légères qu’elles rencontraient dans ce dépôt subit du volcan. Les misérables captifs furent entourés, terrifiés, noyés par cette inondation imprévue de boue liquide, qui montait, montait avec une rapidité qu’on ne peut décrire ; à un moment donné, la vase remplit si bien le souterrain que l’eau, plus légère, fut expulsée à son tour. C’est ainsi que se déposent les terrains d’alluvion. Or ce fut non pas en quelques jours, mais en quelques heures que dut s’accomplir cette lugubre opération, car si les infiltrations s’étaient produites lentement, pendant des mois et même des années, comme dans les tombeaux de Carthage ou dans certaines catacombes de Rome, les cadavres se seraient décomposés, et le sol n’aurait gardé d’autre empreinte que celle de squelettes ou de lambeaux de chair corrompue ; mais les corps des victimes ont été moulés par les cendres délayées et aussitôt tassées avec autant de finesse que par le plâtre d’un sculpteur. Il s’est formé ce que les artistes appellent un bon creux où les formes et l’embonpoint des hommes, les seins des femmes, ont été reproduits au moment même de l’agonie ou de la mort, — par conséquent dans leur intégrité, je dirais presque dans leur fraîcheur. Les vêtemens ont laissé leur marque, accusant la finesse ou la grossièreté du tissu. La qualité de la cendre volcanique (pouzzolane), qui donne un si excellent mortier, la pression des couches superposées, ont fait durcir ce moule naturel ; il a résisté au temps, tandis que les cadavres, subissant la loi générale, s’affaissaient, se consumaient, et finissaient par ne laisser que des ossemens blanchis sous cette carapace conservée pour édifier la postérité.