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la femme en laissant échapper une grosse enveloppe de toile où elle avait noué à la hâte quatorze bracelets, des anneaux d’or, des boucles d’oreilles d’or et des bijoux de moindre importance. M. de Clarac signale[1] un corps situé de même entre les pierres ponces et la cendre et découvert le 12 mai 1812 ; à côté de lui, dans une grosse toile étaient enveloppées huit pièces d’or, trois cent soixante monnaies d’argent, quarante-deux monnaies de cuivre. Dans ces dernières années, on a constaté derrière le Vicolo de Modestus la mort de quatre individus qui étaient tombés dans leur fuite, emportant avec eux cinq bracelets, deux boucles d’oreilles, deux bagues avec chaton, un plat d’argent, trente-deux monnaies, un candélabre, un vase de bronze.

Ces constatations sont déjà assez difficiles à bien établir, vu la brièveté des descriptions du Journal des fouilles, pour qu’on doive s’interdire de pousser plus loin les hypothèses. Chercher par quelles raisons les victimes dont nous signalons les restes ont été déterminées à demeurer ou à fuir, faire la part de la terreur, de la cupidité, de l’amour, du dévoûment, du désir de la vengeance, tout cela serait œuvre d’imagination pure. Il serait plus près peut-être de la vérité, celui qui attribuerait le rôle principal au trouble des esprits, aveuglés par les ténèbres et stupéfiés par le désordre des élémens. On a vu, dans d’assez faibles tremblemens de terre, l’effet électrique des secousses agir sur les cerveaux les mieux faits ; des hommes d’ordinaire très sensés extravaguaient, les gens graves prenaient les précautions les plus ridicules, les animaux eux-mêmes restaient dans une sorte de torpeur ou fuyaient le poil hérissé. Prétendre reconstruire cette série de drames domestiques est une chimère ; les romanciers s’y sont suffisamment exercés. Cependant, si les romanciers ont toute liberté pour inventer, il n’en est pas de même des historiens, qui ne doivent enregistrer que des faits certains ou probables. Pompéi a inspiré quelques légendes qui n’ont pas été discutées parce qu’elles étaient touchantes, et qui ont cours parce que la mémoire les retient sans effort. Il faut avoir le courage de rejeter ces fantaisies non-seulement parce qu’elles sont contraires à la vérité, mais parce qu’elles peuvent fausser parfois les idées qu’on doit se faire sur l’état de la cité. J’en citerai un exemple.

Auprès de l’arc à trois baies qui débouche de la ville sur la voie des Tombeaux est une niche profonde. Depuis bientôt un siècle, on raconte et les voyageurs redisent que c’était la guérite d’un factionnaire, qu’un brave soldat montait la garde à la porte de la ville au

  1. Clarac, Pompéi, p. 5.