Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Saxe un subside annuel de 2 millions à la charge par cette cour de fournir un corps de 6,000 hommes pour le cas où les circonstances l’exigeraient, et de concerter son vote dans le collège de l’empire avec le ministre de France auprès de cette assemblée. Telles étaient les obligations que devait prendre Auguste III en sa qualité d’électeur de Saxe ; mais le roi de Pologne, pour sa part, devait en contracter de non moins grandes. Il s’engageait à interdire à tout soldat russe le territoire de Pologne et à autoriser par avance la confédération des nobles destinée à arrêter l’invasion de leurs odieux voisins. Ses agens à Constantinople devaient aussi concerter leur action avec celle de l’ambassadeur de France[1].

Quel eût été le sort de cette convention, qui mettait ainsi près d’une moitié du continent septentrional à la discrétion de la France ? Le comte de Broglie n’avait-il pas trop présumé de son ascendant en promettant de faire accepter des chaînes si étroites à un allié si récent ? S’il eût réussi, que fût devenue l’affaire secrète, et comment aurait-il pu refuser à des amis si commodes la promesse d’assurer à leur famille l’hérédité de leur trône ? Autant de questions qu’il est impossible de résoudre, car à peine le comte avait-il eu le temps de communiquer sa proposition à la cour de Saxe, et le conseil d’état délibérait encore sur l’accueil qu’il y fallait faire, quand un événement inattendu vint changer la face de l’Europe. Un autre traité devançait celui-ci et allait faire plus de bruit dans le monde. Le 18 janvier 1756, le roi de Prusse, quittant l’alliance de la France, s’engageait vis-à-vis du roi d’Angleterre à observer la neutralité dans la guerre qui allait s’ouvrir. La combinaison du comte de Broglie perdait ainsi une de ses pièces importantes et maîtresses. Cette défection était moins inexplicable qu’imprévue, et peut-être, si le comte de Broglie eût été moins préoccupé de ses propres idées, eût-il pu en avoir lui-même le pressentiment. C’est ce que j’essaierai de faire comprendre.


ALBERT DE BROGLIE.

  1. Ces conditions sont celles que le comte de Broglie proposait à son retour à Dresde au gouvernement saxon. Il résulte d’une publication très intéressante faite par le gouvernement saxon en 1866 (à la veille de la bataille de Sadowa) et intitulée : Secrets du cabinet de Saxe de 1746 à 1756, que d’autres offres moins considérables avaient été expédiées de Paris même pendant le cours de l’été, et portées à Dresde par le secrétaire du comte de Broglie. Ces premières propositions ne demandaient à la Saxe que sa neutralité, et le gouvernement saxon fut très étonné quand il vit cette neutralité transformée en alliance offensive. Il alla même jusqu’à croire que le comte de Broglie exagérait ses instructions. Nous n’avons pas trouvé trace de ce changement dans la suite de la correspondance française ; mais, s’il eut lieu, c’est une preuve de plus de l’ardeur que le comte de Broglie mit à toute cette affaire, et de l’ascendant qu’il exerça pour entraîner son gouvernement dans l’alliance qu’il se faisait fort de lui procurer. (Cf. die Geheimnisse des sachsichen Cabinets; Stuttgart 1866, t. I, p. 245 et suiv.)