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que je dois aux bontés de mon maître, que ces dégoûts, connus mal à propos de tout le monde et malheureusement ici, ont occasionné la plus grande partie de ceux que j’ai eu à y essuyer : ils ont aussi beaucoup contribué à détruire ma santé, ne pouvant voir sans un violent chagrin qu’ils influaient nécessairement sur le bien des affaires de votre majesté. Elle a daigné s’apercevoir du prompt changement survenu lorsque des ordres précis et une attention suivie de la part de M. de Rouillé m’ont mis dans le cas de travailler avec quelque succès. J’avoue cependant, et avec grand plaisir, qu’il doit être moins attribué à mes faibles talens qu’au soin que ce ministre a pris de me diriger et à la bonté qu’il a eue de m’instruire avec plus de détail du plan général de la politique qu’il plaisait à votre majesté de suivre. » Et en envoyant au ministre ce véritable satisfecit il ajoutait : « Je vous prie d’être persuadé que, si j’ai cru pouvoir hasarder ces justes éloges sur la façon dont vous remplissiez la place que sa majesté vous a confiée, ce n’a été nullement dans le désir de vous faire une cour, mais par une sincère satisfaction que je trouve à rendre témoignage de la vérité. Je suis bien éloigné de croire que mon suffrage puisse vous être de la moindre utilité. »

Devancé par ces paroles insinuantes et par la réputation de son succès, le comte de Broglie fut reçu au ministère avec une cordialité pleine d’estime. On le consulta sur toutes les affaires du nord, en particulier sur l’état des forces militaires et maritimes des moindres états, dont sa prodigieuse activité d’esprit lui avait permis d’acquérir la connaissance dans le plus minutieux détail. A mesure que, les relations de la France et de l’Angleterre s’aigrissant, la guerre paraissait plus imminente, ce genre de renseignemens devenait plus précieux, et, quand la rupture fut enfin déclarée, le comte ne quitta plus les bureaux, où il rédigeait note sur note sur toutes les affaires courantes. Pendant que ses relations avec son ministre étaient ainsi publiques, fréquentes et familières, avec le prince de Conti il ne pouvait avoir que les rapports les plus rares et les plus gênés. Toute apparence de confidence entre eux eût été suspecte, et le prince était le premier à l’éviter. Ils ne pouvaient se voir que de loin en loin, et chez des tiers devant qui ils devaient encore s’observer. La conséquence de cette intimité d’un côté et de cette gêne de l’autre fut qu’au bout de trois mois le comte repartit pour Dresde, porteur d’un projet de traité à proposer à la cour de Saxe, qu’il avait ordre de faire accepter par tous les moyens, et contre lequel le prince de Conti, averti au dernier moment, ne put élever que de timides et plaintives objections.

Ce projet, c’était le plan politique du comte de Broglie tout entier. Il l’aurait dicté lui-même (et c’était probablement le cas) qu’il ne l’aurait pas rédigé en d’autres termes. La France offrait à la cour