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vait-il au prince de Conti, il y en a encore une à ajouter qui aurait seule suffi pour m’y obliger. Il me paraît, par les dépêches du conseil, qu’on ne serait pas éloigné de faire ici un traité de subsides. Je crois au contraire, par celle de votre altesse sérénissime, qu’elle n’approuve nullement ce projet, et je pourrais me trouver très embarrassé à concilier les différens ordres que je recevrais ; il peut au contraire arriver que, lorsque j’aurai eu l’honneur d’entretenir votre altesse sérénissime à ce sujet, elle change d’opinion, et, si elle y persiste, elle me mettra à portée d’éviter sans aucun danger les ordres du ministre[1]. »

Je ne suis nullement persuadé qu’en laissant ainsi sa négociation à moitié route pour aller respirer l’air de France, le comte eût l’intention de venir combiner avec le prince de Conti la manière de désobéir aux ordres qu’il avait lui-même sollicités du ministre. Je serais fortement tenté de croire que son dessein était tout opposé, et qu’il se proposait de se faire donner par le ministre un ordre exprès et précis dont il pût s’autoriser pour faire violence au déplaisir du prince. Ce qui me suggère ce jugement, peut-être téméraire, c’est que, si le comte n’avait songé qu’à éluder des instructions ministérielles, il savait parfaitement comment s’y prendre, et n’avait plus besoin à cet égard ni de conseil ni de secours. Au contraire, s’il voulait, comme je l’en soupçonne, pousser doucement le ministre, à l’insu du prince de Conti, dans la voie où celui-ci refusait de marcher, un tel manège était impossible à faire de Dresde ou de Varsovie sans qu’il fût percé à jour à l’instant. Le prince de Conti lisait toutes les dépêches, qu’un commis des affaires étrangères avait ordre de lui communiquer. A la moindre apparence d’un double jeu de la part de l’ambassadeur, il aurait pris l’éveil et se serait offensé. En un mot, la correspondance secrète avait été organisée de façon à tromper aisément le ministère de concert avec le prince de Conti ; mais la machine ne pouvait servir pour pratiquer le jeu inverse, et dans ce cas, qui n’avait pas été prévu, il fallait de toute nécessité venir soi-même à Versailles.

Le congé arriva en effet, et le comte de Broglie, en le recevant, remercia le roi de sa bonté par une lettre directement adressée au souverain, mais qui, avant de lui être remise, devait passer sous les yeux et aller au cœur du ministre. « J’ai l’espérance, disait-il, que mon zèle ne sera pas inutile, même à Paris, à votre majesté, d’autant plus que depuis le ministère de M. Rouillé, je me trouve exempt des tracasseries et des dégoûts que j’ai éprouvés ci-devant. Je supplie votre majesté de me permettre de lui avouer, avec la confiance

  1. Broglie à Conti, 8 janvier 1755. (Correspondance secrète, ministère des affaires étrangères.)