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leurs déserts. Tout était prêt déjà en Pologne pour cette grande opération, dont le comte se flattait d’être l’âme. Le grand-général travaillait avec ardeur à remettre sur un pied de guerre les forces militaires qu’il commandait. Par l’intermédiaire de l’ambassadeur de France à Constantinople, M. de Vergennes, l’un des affidés de l’affaire secrète, avec qui le comte de Broglie l’avait mis en relation, il s’était assuré qu’au moment critique le concours de la Porte ne lui ferait pas défaut. Des émissaires envoyés par lui étaient prêts à agir avec efficacité auprès des petites cours barbares de Tartarie et de Crimée. Il n’y avait pas jusqu’aux Cosaques de l’Ukraine qu’on ne fût en mesure de faire travailler. Des jours glorieux pouvaient donc luire encore pour la Pologne, appelée à défendre l’Europe contre une invasion non moins menaçante que ne l’avait été autrefois celle des musulmans. Seulement il était clair qu’en présence de ces grands résultats, presque immédiatement réalisables, l’élection au trône d’un prince français dans un avenir hypothétique et éloigné ne présentait plus qu’une importance bien secondaire, tout ta fait subordonnée à l’intérêt supérieur de ménager l’alliance saxonne.

Tel était le plan aussi grandement que simplement conçu, qu’à lui seul, au fond d’un pays perdu, par le travail solitaire de sa vive intelligence, avait su former un jeune militaire, bombardé diplomate à trente-deux ans. Une intrigue vulgaire s’était métamorphosée entre ses mains en une véritable conception de haute politique. En exposant son dessein à la fois à M. Rouillé et au prince de Conti, le comte procéda avec beaucoup de ménagement. Au ministre, il fit connaître la possibilité qu’il entrevoyait de conclure un traité de subsides avec la Saxe, et discuta avec lui les avantages généraux qui en pouvaient résulter sous une forme modeste, plutôt interrogatoire qu’affirmative, comme il convenait à un simple agent qui n’avait pas mission de diriger la politique générale. Avec le prince de Conti, il s’attacha principalement à démontrer que l’affaire secrète ne pouvait nullement être compromise, et au besoin même serait plutôt secondée par une union intime de la France et de la maison de Saxe. Cette démonstration était difficile, et les argumens employés trop cherchés et trop peu naturels pour qu’on puisse les croire tout à fait sincères. « A l’abri de cette union, disait-il, nous pourrions nous faire beaucoup d’amis qui ignoreraient l’usage auquel nous les destinerions, et, ce qui serait le plus utile, nous aurions la faculté de discréditer prodigieusement la Russie et de diminuer le nombre de ses partisans, ainsi que ceux de la maison d’Autriche... J’espérerais par un traité bien entendu avec la Saxe rendre la France maîtresse de la Saxe et de la Pologne tout ensemble, et nous pourrions couper court par le moyen du comte de Brühl à toutes les propositions embarrassantes, car il ne s’agit que