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Le comte de Broglie les eût volontiers donnés de sa poche, s’il les eût possédés; mais ni sa bourse, ni même l’épargne du roi de France n’étaient assez bien garnies pour en tirer une telle somme; quant à la demander à son ministre, il n’y fallait pas même songer. Au premier mot d’une confédération possible de la part des amis de la France, le successeur de M. de Saint-Contest (qui venait de mourir subitement), M. de Rouillé, poussa de véritables cris d’effroi. De fait, il est difficile de trouver qu’il eût si grand tort, car, avec l’intervention russe en perspective, qu’aurait fait la France de ses amis confédérés? Devait-elle aller les secourir à travers toute l’Allemagne? pouvait-elle les abandonner après les avoir excités? C’est ce que M. de Rouillé mettait sous les yeux du comte de Broglie dans une dépêche émue et presque éloquente. Ce nouveau ministre, simple intendant la veille, élevé à un poste très supérieur à son origine comme à son mérite, ne prenait pas le ton très haut avec un homme aussi bien en cour que M. de Broglie. Aussi le suppliait-il plus qu’il ne lui ordonnait de mettre tout en œuvre pour que les deux partis en présence n’en vinssent pas aux mains.

« Nous savons, monsieur, disait-il en terminant, comme s’il voyait déjà l’ambassadeur prêt à monter à cheval pour conduire les confédérés lui-même au combat, nous savons quel est votre goût et quels sont vos talens pour la guerre. On craindrait que tout autre, en qui ces deux qualités seraient réunies comme elles sont en vous, ne désirât, peut-être même sans qu’il s’en aperçût, une confédération, afin d’avoir occasion de faire paraître ses talens et de satisfaire son goût; mais nous sommes persuadés que vous sentez que c’est contre les seuls ennemis de sa majesté que vous devez en faire usage, et que, loin de donner entrée à cette idée dans votre âme, vous préférerez dans cette occasion la gloire de sage négociateur à celle de militaire avec distinction. Que si vous avez le bonheur de contribuer à la paix dans une république que sa majesté protège, l’honneur que vous vous attirerez par la sagesse de votre conduite sera infiniment supérieur à celui qui résulterait en pareille circonstance d’actions de guerre, quelque brillantes qu’elles soient, et vous aurez de plus la satisfaction d’avoir exécuté les ordres de sa majesté sur un point qui l’intéresse tant, et d’être en même temps agréable au prince auprès duquel vous résidez[1]. »

De son côté, le prince de Conti faisait savoir au comte de Broglie que le roi était tout aussi opposé que le ministre à une levée de boucliers des patriotes. Seulement, au cas où les Czartoryski seraient les premiers à faire appel aux armes, il se montrait disposé

  1. M. de Rouillé au comte de Broglie, 20 septembre 1754, (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.)