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niçka des hommages qui ne la trouvaient pas tout à fait insensible. C’était, dit le comte de Broglie, un homme en tout genre propre aux grands coups. Ce fut ce puissant lutteur qui se présenta résolument pour arrêter l’entraînement général. L’acte de confédération était déposé dans une tente qu’assiégeait la foule des signataires. Se frayant un passage comme s’il eût voulu se joindre à eux, Mokranowski s’avance brusquement jusque vers la table où le papier était placé, et le saisissant, puis le serrant contre sa poitrine, il déclara qu’on ne le lui arracherait qu’avec la vie. Suivi alors de la multitude qu’attirait autour de lui cet acte audacieux, il se rendit tout droit vers la demeure du grand-général, et là, d’une voix forte et entendue de tous, il exposa au vieux patriote les conséquences de la démarche dans laquelle il allait compromettre ses cheveux blancs. Il fit voir derrière la confédération nationale l’invasion étrangère qui n’attendait qu’un signal pour accourir, une armée russe, déjà rassemblée sur la frontière et toute prête à venir en aide à la guerre civile, et, comme conséquence de cette odieuse intervention de l’étranger, non-seulement un traité d’alliance contraire aux intérêts de la Pologne, mais une révolution qui sacrifierait au pouvoir royal les vieilles libertés des citoyens.

On connaît la versatilité des masses populaires, et toute assemblée est peuple, dit le cardinal de Retz, même une assemblée de nobles comme celle qui écoutait le jeune orateur. Le feu de ses regards, la chaleur de son langage, répandirent dans tous les rangs comme une commotion électrique ; puis, au dernier moment, l’allusion habilement faite aux desseins déjà soupçonnés des Czartoryski, blessant chacun des assistans au point sensible, provoqua une rumeur et un murmure universels. Cédant à cet entraînement, le grand-général se leva et serra Mokranowski dans ses bras en le remerciant d’avoir sauvé la patrie, pendant que le jeune homme, déchirant le parchemin qu’il tenait encore, en foulait aux pieds les fragmens lacérés. Après une telle scène, rien n’était plus possible ; l’intrigue était déjouée et le sentit elle-même. La diète se sépara dans une confusion inexprimable. Un seul résultat était clair : après trente ans d’éclipse, le parti français était reconstitué cette fois sur le terrain excellent et presque inexpugnable de la défense des institutions nationales.


II.

Une si belle victoire n’avait aux yeux du comte de Broglie qu’un inconvénient, c’était d’être à la fois trop prompte et trop éclatante, et plus propre par là même à refroidir qu’à encourager le timide