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tée par les gens du monde autant que par les gens de lettres, à laquelle présidait une charmante amie, la marquise de Boufflers, que la facilité des mœurs du temps ne s’étonnait pas de trouver toujours à ses côtés. Une existence si considérée et si douce aurait dû lui inspirer peu de goût pour les aventures; mais tous ces avantages étaient gâtés par un secret malaise. Le pauvre prince souffrait de briller partout sans dominer nulle part; son rang élevé, mais secondaire, ses facultés distinguées sans être de premier ordre, lui inspiraient le désir de commander sans lui en donner les moyens. Il ne faisait plus la guerre parce qu’il n’avait pas voulu servir d’aide-de-camp au maréchal de Saxe. Le roi le consultait volontiers sur la politique; mais après la régence du duc d’Orléans et le ministère malheureux du duc de Bourbon, Louis XV aurait cru rentrer en tutelle, s’il avait mis une troisième fois un prince du sang à la tête de son cabinet. Ainsi placé à côté, mais en dehors de tout, amateur en tout genre, Conti sentait se glisser dans son âme ce vague ennui qui souvent, surtout vers le milieu de la vie, vient corrompre les plus heureuses conditions de l’existence.

Dans un tel état d’esprit, la proposition brillante des envoyés polonais était d’autant mieux faite pour lui sourire que, l’exécution n’en étant pas immédiate, on pouvait la caresser longtemps en imagination avant d’en courir les risques. Toutefois Conti connaissait trop bien ses devoirs de prince français pour accepter la conversation sur un sujet si délicat avant de s’être assuré du bon plaisir du roi. L’occasion ne se fit pas attendre, car il avait ses entrées familières à Versailles, où sa conversation était fort goûtée. Il ne lui fallut pas longtemps pour s’apercevoir que Louis XV ne partageait nullement le dédain et le dégoût qui étaient de mode à la cour pour les affaires de Pologne. Son orgueil royal était resté blessé de l’humiliation éprouvée dans la personne de son beau-père; puis, portant ses regards un peu plus loin que ses ministres, il s’apercevait bien que rien ne reste vide en ce monde, que la place abandonnée par la France à Varsovie était déjà occupée par de plus actives et de plus ardentes ambitions. De là cependant à faire accueil au projet d’une entreprise nouvelle sur le trône de Pologne, de là surtout à proposer à son conseil la reprise d’un dessein tant de fois avorté, de cette vue juste en un mot à une action quelconque, il y avait un abîme que la mollesse de l’égoïste souverain n’était nullement disposée à franchir. Eût-il eu le courage d’entamer la discussion avec ses ministres, eût-il su assez bien user de son autorité pour faire prévaloir son opinion, il lui fallait mettre la main lui-même à l’exécution de son projet, choisir et guider les instrumens, se donner la peine de penser et de vouloir, deux choses qui répugnaient égale-