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tème fédératif. La constitution intérieure de ce pays unique en son genre ne livrait pas seulement le trône au hasard de l’élection : pendant la durée même de ces royautés viagères, la direction de la politique était partagée entre le roi et les nobles, habituellement divisés et souvent armés les uns contre les autres. Pour traiter avec la Pologne, il était donc aussi vain qu’insuffisant de s’adresser à son chef nominal. Un ambassadeur devait descendre lui-même dans la mêlée des partis, embrasser une des factions, appuyer l’un des compétiteurs qui se disputaient soit le pouvoir, soit la couronne. C’était bien le rôle qu’avaient joué à plusieurs reprises les envoyés de France, de Russie, d’Autriche et même de Saxe; mais cette manière de faire de la diplomatie par voie d’intrigues factieuses et souvent même de guerre civile était aussi coûteuse que compromettante. Pour la France en particulier, le jeu était entièrement à son désavantage. A la distance où elle était placée, tout ce qui émanait d’elle, conseils ou subsides, arrivait rarement à l’heure et à propos. En promettant sa protection à un parti, elle encourait plus de responsabilité qu’elle n’acquérait d’autorité véritable. Tant que ses amis étaient puissans, ils se dérobaient aisément à l’influence de ses avis; dès qu’ils se sentaient menacés, ils réclamaient un appui qu’elle était souvent en peine de leur donner. A plus d’une reprise, elle avait dû abandonner la partie après l’avoir engagée, et, au grand détriment de son honneur, laisser dans le péril ceux qui s’étaient mis en avant sur sa parole. C’est ainsi qu’on avait vu, au XVIe siècle, le duc d’Anjou (plus tard Henri III), porté au trône par une faction nombreuse, s’enfuir de Pologne à peine couronné, puis, au siècle suivant, le prince de Conti, envoyé par Louis XIV pour tenter la même aventure, ne pas même attendre qu’on l’eût proclamé. Enfin on venait de voir le propre beau-père de Louis XV, Stanislas Leczinski, rétabli, puis abandonné par nos armes, réduit à fuir sous un déguisement obscur pour sauver sa tête, déjà mise à prix par les Russes; en définitive, il avait dû céder ses droits à son compétiteur, Auguste III, électeur de Saxe, le protégé des cours impériales. Ces échecs successifs, surtout le dernier, avaient grandement compromis le crédit de la France en Pologne, et par un contre-coup naturel mis la Pologne elle-même en mauvais renom auprès des politiques français. Comme il est assez dans la nature humaine de déprécier les avantages qu’on ne peut obtenir, la mode était venue, à Versailles comme à Paris, dans tous les cercles où l’on discourait des affaires d’état, d’affirmer dédaigneusement que ce malheureux pays, désormais réduit à une anarchie sans remède, ne pouvait plus offrir à personne d’utile alliance, que dès lors tous les soins et tous les frais pour s’y ménager une influence étaient