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litiques. C’est sous le triple cachet d’une correspondance chiffrée qu’il épanchait tout ce qui restait au fond de son cœur de sentimens dignes du trône et de velléités de bien public. De là un contraste sur lequel je compte pour faire l’intérêt de ce tableau. J’aurai à tout moment à mettre en regard, à l’occasion des mêmes événemens, les actes de la diplomatie ministérielle et les avis de la diplomatie confidentielle. D’un côté régneront presque sans partage la légèreté et l’imprévoyance, de l’autre de sages inconnus feront entendre tout bas un langage sévère qui devance le jugement de la postérité. Une frivolité licencieuse s’étale sur le devant de la scène, le bon sens, la moralité et le patriotisme paraîtront souvent réfugiés dans les coulisses.

Il y a une faute en particulier, à la fois politique et morale, qui pèsera toujours sur la mémoire de Louis XV, et dont, si je ne me trompe, la découverte de la correspondance secrète doit altérer complètement sinon la gravité, au moins la nature. On devine que je veux parler de l’exécrable démembrement de la Pologne, ce brigandage diplomatique opéré sous les yeux de l’Europe indifférente, sans que le souverain de la France ait eu soit la perspicacité d’en pénétrer le complot, soit, à la dernière heure, le courage d’en arrêter l’exécution. La France ne pardonnera jamais à ceux qui l’ont fait assister inattentive ou impuissante à la ruine d’une antique alliée et au plus insolent attentat qui ait jamais outragé le droit de la nature et des gens. Cet abandon de la plus juste des causes présente un caractère de duperie mêlée de faiblesse dont une nation généreuse et spirituelle ne peut, même après un siècle écoulé, encore prendre son parti. Des deux reproches qu’on peut faire à Louis XV sur ce triste sujet, il en est un dont les pages qu’on va lire le déchargeront, je crois, complètement. A la vérité, c’est en aggravant l’autre. Louis XV n’a pas été pris inopinément par les malheurs de la Pologne; il n’a jamais cessé de les prévoir et d’en faire l’objet d’une constante bien qu’inerte et inutile préoccupation. Averti de bonne heure du péril par ses conseillers intimes, pendant que ses ministres en méconnaissaient soit la gravité, soit l’imminence, il n’a été dupe d’aucune illusion. Son regard a été constamment fixé sur le lit de douleurs où la victime dévouée se débattait entre les bras de ses ravisseurs. La Pologne fait, à vrai dire, on va le voir, le principal, presque l’unique objet de la diplomatie secrète. La première mission des agens secrets fut de préparer l’avènement au trône de Pologne d’un prince français dans la pensée avouée d’étendre sur ce malheureux pays l’influence et la protection de la France ; puis, quand ce dessein dut être abandonné et que le cercle des relations une fois établies s’étendit à d’autres pays et à d’au-