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un puissant auxiliaire, M. Faugère, directeur des archives au ministère des affaires étrangères, ne m’avait prêté le concours de sa bienveillante amitié. C’est lui qui a découvert d’abord, puis mis à ma disposition, les originaux eux-mêmes de la correspondance secrète, épars au milieu de tant d’autres trésors inconnus dans le vaste dépôt confié à sa garde.

Grâce à cet ensemble de lumières puisées à des sources diverses, je puis mettre aujourd’hui sous les yeux du public le tableau complet de l’origine, du but et de toutes les péripéties de la diplomatie intime de Louis XV. Je serais bien trompé si la surprise du lecteur n’égale pas la mienne, s’il ne s’étonne pas lui-même de prendre à ce récit un autre intérêt que celui que procure le développement d’une intrigue amusante, et si en particulier le caractère du personnage principal de ce petit drame, le comte de Broglie, ne lui présente pas le spectacle toujours attachant d’un esprit familier avec les plus hautes vues de la politique et d’une âme passionnée pour le bien public.

J’avertis charitablement le lecteur qu’il ne trouvera dans cet écrit rien de ce que le titre lui fera peut-être supposer : aucune histoire romanesque, très peu d’intrigues de cour, pas la moindre chronique scandaleuse. Je n’écris pas les mystères de Versailles, et je n’apporte aucune découverte sur les amours de Louis XV, le nombre, la figure et le caractère de ses maîtresses. Je prends cette précaution d’avance, parce que la renommée si bien établie de ce triste monarque pourrait autoriser des suppositions compromettantes pour la gravité d’un écrivain. Sous un règne où la politique officielle a été ouvertement gouvernée par des Pompadour et des Du Barry, quelles révélations du même genre plus piquantes ou plus choquantes encore ne serait-on pas en droit d’attendre de la politique clandestine ! Il n’en est rien pourtant, et la présomption bien naturelle qui devine d’ordinaire ce qui se cache d’après ce qui se montre serait ici complètement en défaut. Par une bizarrerie peut-être sans exemple, ce que le débile Louis XV a pris soin de déguiser pendant vingt années à ses sujets comme à ses ministres, c’est ce qu’il y avait de meilleur en lui-même. S’il s’est passé l’étrange fantaisie d’avoir à la fois deux ministères en exercice, l’un actif, l’autre consultatif, du moins n’a-t-il pas cherché dans cette complication un moyen de se procurer des flatteurs de rechange, et d’établir entre ces deux ordres de serviteurs une émulation de complaisance. Au contraire, pendant qu’il abandonnait trop souvent l’exercice de son pouvoir à des courtisans protégés par des favorites, c’est dans l’ombre qu’il allait chercher (à la vérité pour ne pas les suivre) les conseils francs jusqu’à la rudesse d’austères po-