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REVUE. — CHRONIQUE.

mie suspendue sur l’industrie française. — On peut dire du reste que partout cette agitation procède des mêmes causes, et qu’elle obéit à une impulsion à peu près identique. Partout aussi c’est un programme invariable : diminution du travail, augmentation des salaires, égalité des rémunérations, abolition du travail à la tâche, droit pour les ouvriers de choisir leurs contre-maîtres. C’est sans doute pour concentrer ce mouvement, pour essayer de s’en emparer, qu’il y avait récemment à Paris une réunion des sections de l’Association internationale, où l’on commençait naturellement par proclamer « la république sociale avec toutes ses conséquences, » et où l’on votait les statuts de la fédération des sectionnaires parisiens.

Nous assistons évidemment aujourd’hui à une de ces crises qui ont une bien autre importance que tous les plébiscites, justement parce qu’elles plongent au plus profond des masses populaires, qu’elles touchent à tous les ressorts du travail national. Que les ouvriers défendent leurs droits et leurs intérêts, c’est parfaitement juste ; que de ce libre débat il résulte des mésintelligences accidentelles entre travailleurs et patrons, personne ne peut s’en étonner, mais il est bien clair aujourd’hui que la grève devient une institution, que ces différends en quelque sorte locaux et partiels ne sont plus que les détails d’une vaste action engagée partout, dont les ouvriers sont les instrumens, et qui peut avoir pour conséquence d’attaquer l’industrie dans cette force de production qui fait la richesse de la France. Ces tentatives échoueront fatalement parce qu’elles se heurtent contre les lois économiques les plus simples. Qu’on augmente les salaires tant qu’on voudra, qu’on diminue la quantité de travail, en sera-t-on plus avancé, si tout cela se fait d’une manière arbitraire et factice ? Nécessairement l’activité productive se resserrera, ou mieux encore elle se déplacera. On ne fondra pas du fer à Paris chez M. Cail, on le fondra en Belgique. On ne fera pas des locomotives au Creuzot, on en fera en Angleterre. Si on ne peut point tisser à Lyon, on ira tisser en Suisse, et dans un temps donné l’industrie française, énervée par ces crises, atteinte dans sa vitalité, sera de toutes parts distancée par l’industrie étrangère. C’est alors que les ouvriers français s’apercevront qu’ils ont été les dupes et les victimes des meneurs qui exploitent leur crédulité ; ils auront fait les affaires de l’industrie étrangère en tarissant leurs propres ressources. S’est-on bien demandé quelle déperdition de forces, d’activité, d’intérêts, de bienêtre, représentent toutes ces grèves qui se succèdent ? On ne peut le calculer, et les ouvriers sont les premiers à supporter le poids de cette perte, lors même qu’ils ne vont pas au-devant de condamnations judiciaires, comme celles qu’ils viennent d’essuyer à Autun, à Dijon et à Fourchambault. C’est là toujours le dernier mot de ces agitations néfastes.