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possible de supposer qu’ils avaient succombé dans un combat loyal ; les circonstances dans lesquelles on avait trouvé leurs cadavres s’opposaient à une pareille hypothèse, et il était évident pour tout le monde qu’ils n’avaient dû la mort qu’à leur qualité d’étrangers. Si les choses en étaient arrivées là, toute sécurité personnelle avait disparu pour les résidens de Yokahama, et chacun d’eux ne plaidait que sa propre cause en insistant fortement sur l’adoption immédiate de mesures énergiques pour la recherche des assassins. Sous l’influence de l’indignation générale, poussées d’ailleurs par Le désir de venger la mort de deux victimes sacrifiées à un fanatisme farouche, les autorités anglaises procédèrent avec une vigueur plus qu’ordinaire. Le ministre se rendit aussitôt à Yédo pour y conférer avec les chefs mêmes du pouvoir exécutif, et, leur représentant la gravité du crime, la responsabilité qui pèserait sur le gouvernement du taïkoun, dont l’impuissance et la faiblesse seraient taxées de complicité, il obtint la promesse que l’on ne négligerait rien pour découvrir les coupables. En attendant, on poussa l’instruction du crime avec une ardeur et une bonne foi apparentes. Les témoins furent examinés en présence de fonctionnaires et d’interprètes anglais ; les circonstances exactes dans lesquelles Baldwin et Bird avaient succombé parvinrent ainsi à la connaissance du public.

MM. Beato, Wirgman et de Bonnay, dont il a été parlé plus haut, étaient les étrangers qui, les derniers, avaient vu Baldwin et Bird vivans. Ces cinq personnes s’étaient rencontrées dans les environs de Daïbouts, et y avaient déjeuné de compagnie. Baldwin et Bird avaient annoncé leur intention de visiter les temples de Kamakoura et de retourner le même jour à Yokohama. Ils étaient pressés de partir pour arriver avant la nuit sur le plateau des collines de Kanasawa et voir le soleil se coucher derrière la montagne de Fouzi-Yama. Wirgman, Beato et de Bonnay avaient résolu de revenir par le Tokaïdo en prenant par le village de Fouzi-Zawa, où ils voulaient passer la nuit. Les deux compagnies s’étaient séparées vers trois heures en se souhaitant mutuellement bon voyage. Wirgman s’était encore plusieurs fois retourné, suivant du regard les deux cavaliers qui traversaient lentement la plaine de Daïbouts, et avait dit : « C’est beau, deux hommes seuls à cheval dans une grande plaine solitaire ! » Lui et ses deux compagnons, de Bonnay et Beato, étaient arrivés le soir à Fouzi-Zawa ; ils s’étaient installés dans la meilleure maison de thé de l’endroit, y avaient soupe et s’étaient couchés. Au milieu de la nuit, un betto était entré dans la chambre et leur avait appris qu’on venait d’assassiner deux étrangers à Kamakoura, en ajoutant qu’il était peut-être prudent de partir immédiatement pour Yokohama ; mais Beato et Wirgman avaient pensé que