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le génie, l’amour de la gloire et l’amour des belles choses. Habitans d’une cité sans influence, esprits peu élevés, épicuriens pratiques, ils ont mis la sensation à la place du sentiment du beau et allié l’ordre et le lucre[1] à la recherche des jouissances matérielles. Les arts n’étaient à leurs yeux qu’un moyen d’augmenter ces jouissances. C’était du reste l’esprit du temps. Rome donnait de loin l’exemple, et la contagion du luxe impérial avait gagné en outre les Campaniens.

Le golfe de Naples, qui était déjà pour les Romains un séjour enchanté à la fin de la république, devint sous l’empire un sujet d’engouement et de folies. Ils y cherchaient moins la fraîcheur de la mer et la santé que la volupté et l’emploi de richesses sans bornes. Les césars avaient donné l’exemple. Auguste était venu plusieurs fois en Campanie pour se reposer, et il était mort à Nola ; Tibère était resté cinq ans à Caprée comme un modèle de débauches, et il était venu souvent sur la côte donner en spectacle sa frénésie ; Caligula avait illustré le golfe de Baïa ; Claude avait une villa près de Pompéi ; Néron traînait toute sa cour sur les théâtres de la Campanie, et c’est en Campanie qu’il commit ce parricide dont la tragédie grecque elle-même n’avait pu égaler l’horreur. Ainsi la corruption assaillait de toutes parts des provinciaux déjà énervés, en même temps que le luxe leur apportait sa science. C’est là que l’aristocratie romaine, les affranchis des césars, les parvenus et les favoris de toute sorte viennent multiplier leurs villas et leurs palais, jetant des digues, abattant les rochers, comblant les abîmes, bâtissant sur la mer. C’est là que le monde élégant de Rome se précipite l’été pour fuir la fièvre, pour prendre les bains de mer, pour boire les eaux sulfureuses qui s’échappent du sol près de Stabies (Castellamare) ou près de Cumes. Les folles dépenses et la magnificence des ameublemens n’excluent ni la galanterie ni les plaisirs chantés par les poètes érotiques du temps. Les villes d’eaux et les établissemens de bains de mer des modernes ne peuvent donner aucune idée de ces prodigalités et de ces débauches.

Les artistes suivaient le luxe. Une nuée d’architectes, de peintres, de praticiens, de décorateurs, était appelée pour satisfaire les fantaisies sans limites des Romains qui se rendaient en Campanie. Ils restaient l’hiver pour préparer les demeures dont on devait jouir l’été. C’était comme une armée permanente qui propageait le goût des arts, les modèles, et faisait école. Les habitans du pays ont dû céder à la tentation d’imiter ce qui frappait sans cesse leurs yeux ;

  1. Salve, Lucru, « salut, Gain », telle était l’inscription éloquente qu’un Pompéien avait fait incruster en mosaïque sur le seuil de sa maison.

TOME LXXXVII. — 1870. 2