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SIMIDSO SEDJI.

s’arrêtent en été pour prendre une tasse de thé avant d’affronter le soleil de la plaine. Enfin, au point même où se divisent ces quatre différentes routes : l’allée, le chemin de la mer, les sentiers des fermes, la route de Daïbouts, se trouve un puits où les habitans des environs vont chercher leur provision d’eau.


II.

Ce fut au commencement de l’hiver de 1863 que je fis à Yokohama, dans la maison d’un ami commun, la connaissance du commandant Baldwin. Les événemens que je vais raconter, et qui eurent lieu quelques semaines plus tard, ont gravé sa figure dans ma mémoire. Le commandant était grand, vigoureux, bien fait ; il avait le front haut, le regard franc et loyal, le nez droit et fort, la bouche et le menton d’un homme résolu ; sa chevelure et sa barbe étaient noires, épaisses, son teint bruni et hâlé comme celui d’un homme qui vit toujours au grand air. L’ensemble de sa physionomie inspirait la sympathie et la confiance ; on sentait qu’on avait affaire à un homme bon, honnête et courageux. Il paraissait avoir trente-cinq ans. Le timbre de sa voix me frappa comme particulièrement agréable : c’était une voix aux notes profondes, pleines, harmonieuses, telle qu’on se figure celle d’un homme en bonne santé, au physique comme au moral. Baldwin venait d’arriver au Japon, il était curieux de faire prompte connaissance avec le pays et ses habitans. Il m’adressa une foule de questions auxquelles je pris plaisir à répondre de mon mieux. Il me demanda surtout mon avis sur les excursions les plus intéressantes à faire dans les environs, et nous nous quittâmes après une promesse mutuelle de nous revoir à peu de jours de là pour entreprendre ensemble quelque longue promenade.

J’ai souvenir d’avoir rencontré vers la même époque un jeune camarade du commandant, le lieutenant Bird. C’était au club, au milieu d’un cercle d’officiers et de résidens de Yokohama. Bird paraissait à peine avoir dépassé sa vingtième année ; il était grand, élancé. Avec son teint pâle, ses cheveux blonds, son air distingué, il me fit l’effet d’un jeune homme triste, peut-être maladif. Il était arrivé au Japon en même temps que le commandant Baldwin.

Une dizaine de jours plus tard, j’avais chez moi une nombreuse société à dîner. Il faisait mauvais temps dehors, et, causant et fumant, nous restâmes réunis jusqu’à une heure avancée de la nuit. Dans le courant des conversations, j’appris que deux de mes amis personnels, Albert de Bonnay, récemment arrivé de Paris et qui demeurait dans ma maison, et Charles Wirgman, le dessinateur du