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temps un verre de vin. Ces deux établissemens, Saint-Denis et Villers-Cotterets, se complètent bien l’un l’autre : dans l’un, on aide à réprimer un délit et à empêcher celui qui l’a volontairement commis d’y tomber de nouveau ; dans l’autre, on vient au secours de l’infortune réelle, de la misère, de la faiblesse, de la décrépitude. Cependant, il faut bien le dire, ce n’est point avec de telles mesures qu’on éteindra la mendicité. Si une société qui se respecte doit du pain aux infirmes, elle ne doit que la possibilité du travail à la paresse et à la fainéantise. Or ce sont là deux vices inhérens à la nature humaine ; les lois terribles des siècles passés, le bannissement, la marque au fer rouge, la déportation, les galères, ont vainement tenté de diminuer le nombre des mendians ; nos prescriptions plus douces, très prévoyantes et très humaines, n’obtiennent pas un meilleur résultat. En présence de ce fait persistant, en considérait que beaucoup de ces hommes sont jeunes et pourraient travailler, en s’assurant par les relevés statistiques qu’il faut, aux 2 588 mendians arrêtés l’année dernière à Paris, ajouter 14 095 vagabonds, ne peut-on pas se demander s’il ne serait point temps de prendre un parti sérieux, et si nous ne devrions pas, tout en profitant de la dure expérience faite par la Hollande, suivre l’exemple qu’elle nous a donné par l’établissement de ses colonies intérieures d’Ommerschans et de Frederiksoord ? La France possède aujourd’hui 5 147 862 hectares de terres en friche ou jachères mortes[1] ; avec les chemins de fer, l’engrais concrété arrive partout ; avec la sonde des puits artésiens, l’eau peut jaillir sur les terrains les plus stériles ; les vagabonds et les mendians valides bien dirigés, maintenus dans les étroites prescriptions d’une discipline à la fois préventive et paternelle, peuvent devenir des agriculteurs suffisans. En échange de la main-d’œuvre que l’on exigerait d’eux, ils auraient le pain de chaque jour, une rémunération proportionnelle, au besoin une part du champ cultivé. La civilisation y gagnerait de toute manière, car nous augmenterions les ressources agricoles de la France, et nous débarrasserions nos villes d’une race parasite où le crime va souvent chercher ses auxiliaires les plus redoutables.


Maxime Du Camp.
  1. Les départemens qui possèdent le plus de terrains en jachères sont la Marne 165 487 hectares, l’Allier 154 043, la Vendée 144 322, les Deux-Sèvres 128 680, le Puy-de-Dôme 131 488, l’Yonne 116 559, la Vienne 116 442.