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jupon, saisit le bas de son vêtement le plus secret et se moucha dedans, car à Saint-Denis comme à Saint-Lazare, comme dans toutes les maisons de détention pour les femmes, on ne distribue ni mouchoirs ni serviettes. Il ne faut pas se lasser de réclamer à ce sujet ; par cela même que l’administration appesantit sa main sur ces malheureuses, elle se doit à elle-même d’essayer de les amender et de leur donner des habitudes de propreté, qui du moins seront une forme de la moralité extérieure.

Les femmes sont sous la direction de surveillantes laïques ; l’une d’elles, alerte, intelligente et jolie, qui voulait bien répondre à mes questions, m’a paru mener son vieux bataillon avec vivacité et régularité. Il faut beaucoup d’entrain uni à beaucoup de patience pour maintenir dans les limites de la discipline ces esprits facilement inquiets et sans grande responsabilité ; les bonnes paroles réussissent mieux que les menaces, et les sévices font plus de mal que de bien. Comme je demandais à voir la cellule de punition, où l’on enferme les récalcitrantes, la surveillante hésitait ; enfin, rougissant beaucoup, elle fit jouer une grosse serrure, et ouvrit une lourde porte bardée de fer. Je m’aperçus que du cachot elle avait fait une sorte de grenier à débarras ; il était difficile d’avouer plus ingénieusement que, pour guider tout ce mauvais monde, elle n’a recours qu’à des mesures de douceur et d’indulgence. Les dortoirs sont fort grands, mais l’encombrement des lits, — 100, 120 par pièce, — rend les dimensions illusoires. Parfois le nombre des détenus est tel qu’on est forcé de réunir deux lits côte à côte et de déposer un matelas au point de jonction, de sorte que trois personnes couchent dans un espace qui normalement devrait être réservé à une seule. C’est que non-seulement les bâtimens s’écroulent, non-seulement ils sont si délabrés qu’on n’a pas osé y mettre la pioche pour y établir le gaz et des calorifères, mais la place manque. L’étroitesse des locaux est dangereuse au point de vue de la santé, elle rend les abus très faciles, détruit presque toute surveillance ; elle a un inconvénient plus grave encore, elle paralyse le bien qu’on pourrait faire, car la place ne suffit pas à la population qui encombre ces lieux de désolation. En 1869, les entrées ont été de 1, 025 hommes et 388 femmes, les sorties de 779 pour les premiers et 252 pour les secondes ; au 31 décembre, le chiffre total des détenus était de 862, 552 hommes et 310 femmes[1]. Aussi, grâce à une telle accumulation, l’infir-

  1. Pour porter un jugement sérieux sur cette population, il faut savoir que parmi les 1,025 hommes, 470 ne savent ni lire ni écrire, que, parmi les 388 femmes, 283 sont complètement illettrées ; ainsi, sur 1,413 reclus, 753, c’est-à-dire plus de la moitié, n’ont reçu aucune espèce d’instruction.