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quelque argent, il entre chez ce qu’il nomme le mastroquet, c’est-à-dire chez le marchand de vin. Les chanteurs sont le plus souvent des ouvriers mutilés qui, en raison des blessures ou des infirmités qui les privent forcément de travail, essaient de gagner leur vie par ce pénible moyen. On en voit cependant qui mènent ce genre d’existence si voisin du vagabondage par un besoin d’indépendance malsaine et hasardeuse : il y a en ce moment même à Paris une femme, relativement bien née, — dont un très proche parent occupe une situation importante, — qui est chanteuse des rues, et va, dans les cours des maisons, sur les emplacemens autorisés, dans les cabarets borgnes, goualer des romances sentimentales et prétentieuses. Bien souvent on a voulu l’arracher à cet affreux métier, elle-même a promis mainte et mainte fois d’y renoncer : quelque chose de mystérieux la pousse, qui la rejette sur les pavés ; elle reprend le cahier de chansons et sa vie de bohème. Il paraît qu’à tout âge on peut subsister de cette singulière profession, car il y a un vieux bonhomme de soixante-dix-huit ans qui, s’accompagnant d’une guitare et chantant d’une voix chevrotante, presque éteinte, trouve moyen de se faire un revenu de 45 fr. par mois. Du reste, pour beaucoup de gens, c’est un vrai métier, et il y en a qui l’exercent de père en fils.

Est-ce parmi les mendians, les musiciens ambulans, les bateleurs ou les vagabonds qu’il faut ranger ces petits Italiens qui, depuis quelques années surtout, pullulent dans nos rues ? On ne sait en vérité. Ils appartiennent à chacune de ces espèces : ils reçoivent des aumônes, ils jouent de la harpe ou du violon, ils montrent des marmottes ou des singes, et bien souvent la nuit on les ramasse pelotonnés sous les bancs du boulevard, contre le parapet des quais, sur le seuil des portes cochères. Cette sorte de mendicité semble douée d’une force d’inertie ou d’une habileté de persistance qui lasse le public, la police, les tribunaux et même la diplomatie. Ce n’est pas d’hier que l’on s’en plaint. Dès le 18 septembre 1824, une décision prise par M. de Corbière, alors ministre de l’intérieur, autorisait la translation à la frontière de ceux de ces enfans arrêtés en récidive. Une ordonnance du préfet de police en date du 20 septembre 1828 leur enjoint d’avoir, dans l’espace d’un mois, quitté le territoire français, sous peine « d’y être contraints par toutes voies de droit. » Un arrêt de condamnation, rendu par le tribunal correctionnel le 22 juin 1837 contre Vincente Brigi, âgé de quinze ans, et Luigi Gozzolo, âgé de douze ans, tous deux natifs de Parme, dit avec plus de raison que de grammaire que « les animaux et les instrumens qui sont confiés à ces enfans ne constituent point l’exercice d’une profession, et ne sont qu’un moyen de dissimuler la mendicité qu’ils exercent. » Autrefois c’étaient les pays de