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LA MENDICITÉ DANS PARIS.

contre l’inefficacité des mesures prescrites, et, sans en avoir conscience, on fait un retour violent vers le passé, on revient à l’ordonnance de 1700, et un décret du vingt-quatrième jour du premier mois de l’an ii formule cette énormité : « tout citoyen qui sera convaincu d’avoir donné à un mendiant aucune espèce d’aumône sera condamné à une amende de la valeur de deux jours de travail, au double en cas de récidive ; » puis il ajoute que toute personne convaincue d’avoir demandé de l’argent ou du pain dans les rues ou voies publiques sera arrêtée. On semblait croire qu’il suffisait de décréter l’extinction de la mendicité pour que tous les mendians disparussent. La rigueur est à l’ordre du jour, et le 11 brumaire Gouly propose que tous les mendians soient déportés à Madagascar, où nous possédons trois lieues de côtes ; on les embarquerait à Lorient, où un dépôt serait établi. Le projet de décret est adopté. Le 11 ventôse an II (8 mars 1794), Thuriot demande que le comité de secours fasse dans le plus bref délai un rapport sur les mesures à prendre pour éteindre la mendicité dans toute l’étendue du territoire français ; c’est toujours la même erreur, la monarchie semble l’avoir léguée à la république. Il est des maux qu’on peut amoindrir, qu’on doit combattre, mais qu’il est impossible d’effacer d’un seul coup. À la proposition de Thuriot la commune de Paris répond quatre jours après par un arrêté où il est dit : « Quant aux mendians valides, lesquels ne peuvent être que fort suspects, les agens nationaux prendront des mesures promptes et sévères pour leur faire cesser leur infâme métier. » C’est là qu’on s’arrêta fort heureusement, car on ne sait jusqu’où l’on aurait été sur cette pente, si les événemens, qui se précipitaient avec une violence sans pareille, n’avaient entraîné tous les esprits vers d’autres préoccupations.

Le directoire fut un bon temps pour la tribu de la mendicité ; on lui laissa les allures libres, et elle en abusa. Aux carrefours, sur les ponts, à l’angle des rues, au coin de chaque borne, les béquillards et les malingreux tendaient la main, psalmodiaient leur plainte monotone comme au bon temps du roi Robert. Délivrée de la violence des jours passés, la société française se reprenait à la vie par ce que celle-ci a de plus malsain, les plaisirs faciles, le jeu, les spéculations hasardeuses ; sous prétexte d’élégance, les femmes en venaient à se montrer presque nues en public. La sensibilité était plus que jamais à la mode ; il eût été cruel de chasser ces pauvres mendians, comme on disait, et on les laissait pulluler dans Paris, où les jours de gala ils assiégeaient la porte des hôtels qu’habitaient les fournisseurs enrichis de rapines. Cependant, lorsqu’ils devenaient trop importuns, lorsque leur nombre s’était augmenté dans des proportions qui menaçaient d’inquiéter la sécurité publique, on les arrê-