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des crânes de l’âge de la pierre avait permis à plusieurs d’entre nous de reconnaître que le problème est ici bien plus complexe qu’on ne le pensait il y a peu de temps. L’étude des crânes trouvés dans les dolmens de la Westrogothie avait conduit M. le baron Düeben à penser que les populations de cet âge devaient ressembler beaucoup aux populations actuelles. Sans aller aussi loin, je ne pouvais, à la suite d’un examen même superficiel et incomplet, douter que dès cette époque il ne se fut accompli en Danemark de nombreux et profonds mélanges. Aussi, la session une fois close, n’hésitai-je pas à prolonger mon séjour pour étudier de plus près les matériaux mis à ma disposition avec une entière libéralité.

À la suite des découvertes faites en France par MM. Lartet, de Vibraye et Boucher de Perthes, en Belgique par M. Dupont, et après avoir comparé aux restes des premières tribus européennes les têtes osseuses des populations de nos jours, un éminent anthropologiste, M. Pruner-Bey, avait été conduit à formuler des conclusions générales. Il avait regardé tous les habitans primitifs de nos contrées comme ayant appartenu à une grande formation anthropologique jadis continue, et qui aurait embrassé l’Europe entière avec le nord de l’Asie en pénétrant jusqu’en Amérique. Pour lui, les Basques, les montagnards du canton des Grisons, les Esthoniens, les Lapons, etc, étaient autant de restes, autant de témoins de cette race qui aurait précédé sur notre sol toutes les tribus aryennes. Tout en signalant l’existence de deux types tranchés chez les Esthoniens, tout en faisant les réserves les plus formelles motivées par quelques faits exceptionnels, j’ai dû insister ailleurs sur l’accord de cette théorie avec l’ensemble des observations les plus précises que possédait la science en 1867[1].

Depuis lors, de nouvelles découvertes, faites encore en France et dans l’ancien Périgord, ont dû modifier à certains égards ces premières conclusions. Les hommes ensevelis sous la roche de Cro-Magnon, et dont les ossemens ont été si bien étudiés par MM. Pruner-Bey et Broca, n’étaient certainement pas de la même race que leurs contemporains d’Aurignac ou de Moulin-Quignon. Ceux-ci étaient de petite taille et avaient une tête plus ou moins brachycéphale, c’est-à-dire raccourcie d’arrière en avant. Ceux de Cro-Magnon étaient de très grande taille et avaient la tête allongée ou dolichocéphale[2]. Ainsi dès les temps géologiques, alors que l’Europe comp-

  1. Bulletin de la Société d’anthropologie, 2e série, t. I, et Rapport sur les progrès de l’anthropologie en France.
  2. Malgré ces différences, M. Pruner-Bey rattache ces deux races à sa grande famille mongoloïde à titre de types secondaires. (Reliquiœ Aquitanicœ, by Edouard Lartet and Henry Christy.)