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cette pondération cesse résolument, les instrumens à vent prennent le dessus ; voici la domination qui commence de la flûte et du hautbois, de la clarinette et du basson, du cor et de la trompette. C’est aux sons aériens et vaporeux de la flûte et du hautbois que s’élèvera dans les nuages la cité flottante d’Oberon et de Titania, tandis que le maître empruntera aux bassons et aux clarinettes de quoi rendre les pressentimens et les terreurs du monde souterrain, aux cors la saveur forestière, aux trompettes et aux trombones l’élément résurrectioniste du vieux moyen âge écroulé. Ajoutons bien vite cependant que l’instinct de cette coloration tout individuelle formera le fond même de son génie, car s’il est au demeurant très facile de décomposer l’art de Weber, toute cette chimie musicale ne sert de rien lorsqu’il s’agit de procéder, d’instrumenter, et Berlioz, qui n’était certes pas un musicien ordinaire, l’a bien prouvé en voulant tremper sa plume dans l’encrier du maître pour écrire des récitatifs au Freyschütz.

Rendons à l’administration cette justice de reconnaître qu’en remontant le Freyschütz, après trente ans, elle a traité sans ménagemens cette superfétation du texte. On a pratiqué de vraies coupes sombres dans la suffocante épaisseur des dialogues chantés, et néanmoins il en reste encore trop. Je voudrais ne point médire de l’Invitation à la valse, mais la manière dont on l’exécute et la représente à l’Opéra me semble absolument critiquable. Meyerbeer, dans une lettre rendue publique en un certain procès, se récusait à la seule idée d’instrumenter le roi des Aulnes, de Schubert. Berlioz, également tourmenté de scrupules, a passé outre, et certes la chose a dû terriblement lui coûter, à lui qui de sa vie ne cessa de fulminer l’anathème contre les malheureux arrangeurs. Nous parcourions dernièrement ses Mémoires, où tant d’or se mêle au clinquant, où les plus odieuses vulgarités viennent à chaque instant déparer des pages d’ailleurs excellentes ; on n’imagine pas ce que contient ce livre de railleries grotesques et d’invectives de toute sorte à l’adresse des gens qui jamais ont osé toucher d’une façon quelconque aux textes d’autrui. Par quelle série d’inconséquences, l’auteur de ce livre en est arrivé à se permettre de remanier le Freyschütz, d’instrumenter l’Invitation à la valse, je ne me charge pas de l’expliquer, et je me borne à penser qu’il se sera dit : « Je ferai mieux, » imitant à son tour ces horribles sacrilèges, « ces idiots » voués à toutes les exécrations, à toutes les huées de l’avenir, et ne croyant ou ne voulant pas croire que, même en faisant mieux, il fait comme eux. Il se peut que dans un concert, soigneusement isolée des autres compositions du maître, cette instrumentation de Berlioz passe pour du Weber ; à l’Opéra, en plein Freyschütz, l’illusion n’est pas possible, l’exagération seule des procédés de Weber trahit la supercherie ; à certains momens, l’imitation tourne à la charge : c’est la palette tout entière écrasée d’un coup de poing sur la toile. J’appelle l’attention des musiciens, des amateurs sur