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accepté, que le Freyschütz est un de ces ouvrages qu’une ville telle que la nôtre ne doit jamais perdre de vue, resterait à chercher quelle serait la scène la plus apte à se l’approprier. Du Théâtre-Lyrique, on n’en saurait parler jusqu’à nouvel ordre ; l’Opéra-Comique, dont le cadre serait peut-être le seul qui convînt, il faut malheureusement se résigner d’avance à le voir mis hors de la question, et par certaines habitudes trop bourgeoises de son répertoire et par l’incroyable longanimité avec laquelle ce théâtre subit la plus ridicule des tyrannies. Imagine-t-on en effet que, à une époque de prétendue liberté théâtrale, il existe une commission des auteurs capable de tenir son interdit éternellement suspendu sur la seconde scène lyrique française, et de répondre par le plus inexorable des non possumus à toute sollicitation à elle adressée au nom d’un chef-d’œuvre de Mozart ou de Weber ? — Le Théâtre-Lyrique n’existant pas, ou, pour parler le langage de Fontenelle, éprouvant une telle difficulté d’être que toute force d’initiative en est chez lui incessamment paralysée, l’Opéra-Comique n’osant point s’affranchir de sa grande charte, qui lui défend de jouer des traductions, l’Académie impériale devient le seul théâtre où le Freyschütz puisse désormais trouver asile, et les amateurs de cette fière musique, s’ils faisaient trop les difficiles, n’auraient qu’à prendre leur parti de ne la plus entendre.

Ceci posé, nous sommes fort à l’aise pour insister sur les conditions essentiellement critiques d’installation que le Freyschütz a toujours rencontrées et qu’il rencontrera toujours à l’Opéra. Les chanteurs fussent-ils cent fois meilleurs, l’art d’un poète eût-il réussi à conserver dans la traduction celle saveur pittoresque des paroles allemandes si complètement en harmonie avec l’expression musicale, vous ne sauriez faire que les genres concordent entre eux et que les choses soient à leur place. Qu’est-ce en effet que le Freyschütz ? Un simple récit de la forêt mis en musique par un homme de grand génie et d’une extrême bonne foi, un recueil de mélodies locales merveilleusement rapportées, ajustées, un de ces contes nocturnes qui tirent leur épouvante de l’étroitesse même de l’endroit où l’on se les raconte tout bas, pressés les uns contre les autres. Chercher là midi à quatorze heures, comme s’il s’agissait de monter un opéra de Meyerbeer, c’est aller contre l’esprit de cette musique, c’est en vouloir gâter à plaisir le romantisme. Qui s’occupa jamais en Allemagne d’assigner à la mise en scène du Freyschütz une couleur historique ? Les pièces de ce genre n’ont point d’époque ; elles se jouent en pleine nature avec les costumes d’hier et d’aujourd’hui. Max, Casper, Kuno et Kilian sont encore gardes-chasse au service du duc de Saxe-Weimar ou du prince de Reuss. Agathe, la fiancée du chasseur, continue à chanter son hymne à la lune pendant que son bel amoureux, égaré dans la Wolfschlucht, souffle bravement sur le réchaud cabalistique, et, de connivence avec un Samiel imaginaire, évoque toutes les forces de la nature pour arriver à des résultats que le plus modeste habitué du