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Italie; ils sont plus que séparés par l’âge, je jurerais que leurs âmes n’ont rien de commun. Le bon vieillard m’apparaît comme une représentation de l’ancienne Italie avec sa léthargie qui faisait couler si facilement le temps, sa bonhomie qui prenait la vie pour ce qu’elle valait, sa placidité, sa politesse. Gratiœ danti, me dit-il spirituellement avec une intonation où l’humilité d’un vieux franciscain s’allie à la finesse ironique d’un vieil Italien, lorsque je lui mets dans la main une pièce de menue monnaie ; mais le jeune, avec sa navrante figure, m’a l’air d’avoir été mal dompté par le cloître : je l’entends qui pousse de petits rugissemens fauves pendant que je contemple la fresque de Sébastien del Piombo. Pauvre enfant! il me fait mal à regarder; sa vue fait lever dans ma mémoire, je ne sais trop pourquoi, le souvenir d’un vers terrible de Leopardi, et pendant qu’il mugit sourdement, moi, je marmotte à mi-voix :

…..A palpitar si move
Questo mio cor di sasso…..


L’accompagnement est en parfait accord avec la musique qui lui a échappé, et par le fait il me semble voir dans cet enfant la traduction en prose plébéienne d’une ode violente d’Alfieri, de Foscolo ou de Leopardi, tandis qu’avec le vieux moine je remontais facilement à l’Italie heureuse de Métastase.

A l’entrée de Saint-Pierre-in-Montorio se trouve la principale richesse de l’église[1], une fresque représentant la Flagellation peinte dans la première chapelle de droite par Sébastien del Piombo. Cette fresque est une des plus belles choses qu’il y ait à Rome. Ce n’est pourtant pas par la profondeur du sentiment ni par le pathétique de la composition que brille cette œuvre. La même scène, traitée par les Flamands, a une tout autre frénésie; aussi la fresque de Sébastien del Piombo n’a-t-elle guère chance d’émouvoir ceux qui ont contemplé à Saint-Paul d’Anvers la déchirante Flagellation de Rubens, dont, par parenthèse, notre musée de Marseille possède une belle répétition. Ici nous nous permettrons de faire remarquer combien tout est incertain, puisque nous ne sommes pas sûrs de voir

  1. Saint-Pierre-in-Montorio a perdu son grand ornement, la Transfiguration de Raphaël que l’on y voyait autrefois. Le chef-d’œuvre a été remplacé par une bonne copie du Martyre de saint Pierre du Guide, peinture qui est en rapport plus exact, il faut bien l’avouer, avec l’origine et le caractère de cette église. On y voit encore pourtant plusieurs choses remarquables outre la fresque de Sébastien del Piombo, quelques tombeaux intéressans, une chapelle décorée par Bernin, un bas-relief représentant saint François soutenu par les anges, — nous aurons occasion de le rappeler lorsque nous parlerons de la sainte Thérèse de Bernin, — et enfin, en face de la Flagellation de Sébastien del Piombo, une autre fresque de Jean de Vecchis représentant saint François recevant les stigmates, page d’une belle ordonnance et dont le dessin est, comme celui de l’œuvre de Sébastien, attribué à Michel-Ange.