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païen cette fois, et n’est en rapport ni de près ni de loin avec aucun des sentimens du christianisme. A l’extérieur, on dirait un pavillon de repos fait pour réparer les lassitudes heureuses, ou pour faciliter les rêveries où l’âme aime à se faire des promesses de joie; à l’intérieur, c’est un temple pour le fils de Vénus, ou, si l’on tient absolument à l’associer au culte chrétien, c’est une adorable volière pour la colombe du Saint-Esprit. Il me semble le voir, le divin oiseau captif, tournant autour du cercle de la coupole, élégante, mais trop étroite représentation de l’éternité, cherchant à s’échapper et volant dans son impatience du haut au bas de cette cage où vont peut-être venir le saisir les nymphes faciles qui dans le saccllum souterrain, grotte lumineuse, antre riant, pleurent sans doute la mort de quelque pâtre aimé des dieux. Il n’est pas possible en effet que cette chapelle souterraine soit consacrée au souvenir de Simon Pierre, pêcheur de Galilée, type éternel du plébéien, au dévoûment sans bornes, à la foi profonde, et du tragique martyre qu’il subit en ce lieu : non, le souvenir sacré qui vit dans ce coquet caveau, c’est bien plutôt celui de quelque Hylas aimé des nymphes qui trouva la mort par imprudence d’amour, ou celui de quelque Daphnis poète,

.... Usque ad sidera notus
Formosi pccoris custos, formosior ipse.

Mais que nous importe après tout? Si cet édifice n’est pas chrétien, il est bien italien, et il nous parle de l’Italie ancienne et moderne avec un charme auquel on ne cherche pas à se soustraire. J’oublie les grands souvenirs de l’église naissante, et je pense aux églogues de Mantoue; puis, franchissant les siècles, mon imagination s’arrête aux pastorales italiennes du Tasse et de Guarini. N’ai-je pas là sous les yeux un de ces temples où leurs bergers vont consulter l’oracle, faire leurs vœux, suspendre leurs guirlandes, joindre leurs mains par le mariage, par exemple ce temple du Pastor fido où le prêtre Montano fait ses sacrifices à Diane et consulte les voix divines qui parlent d’amour et d’hyménée[1]?

Ici le prêtre Montano m’est représenté par les deux moines qui me montrent l’église : l’un, petit vieux à barbe blanche, traînant péniblement les pieds; l’autre, jeune homme maigre, hâve, aux yeux brillans de fièvre, dont toute la personne semble indiquer l’abandon de soi et une sorte de muet désespoir. Avec mes deux moines, mes riantes pensées de tout à l’heure s’envolent bien vite, et des rêveries graves de plus d’une façon viennent m’assaillir. Tous deux portent le même habit, mais ils n’appartiennent pas à la même

  1. Ce joli temple a cependant un défaut; la hauteur est trop grande pour le diamètre, et ce défaut, dans lequel Bramante s’est laissé tomber pour donner à son bijou architectural un caractère plus spiritualiste, est tout ce que cet édifice a de chrétien.