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III.

C’est une erreur de croire, comme des écrivains récens trop enclins à l’optimisme, que les trade’s unions sont sur le point de se convertir aux saines doctrines économiques. M. Thornton, qui connaît mieux que personne les idées des unionistes et qui les défend, se garde bien de dire que la phase militante des associations ouvrières touche à sa fin. Il déclare au contraire que les différentes unions doivent former entre elles une fédération nationale, puis nouer des relations avec les sociétés analogues de l’étranger, et arriver à constituer ainsi une immense ligue des ouvriers d’Europe et d’Amérique, en vue non pas sans doute de supprimer le capital, qui est un agent nécessaire, mais de lui dicter des lois et de l’asservir dans tous les pays civilisés. Cet écrivain, essayant de préciser le moment où ce résultat sera définitivement acquis, estime qu’au train actuel des choses il ne faudra pas plus de cent ans. C’est nous laisser beaucoup de répit. Déjà les trade’s unions ont cherché à se rapprocher les unes des autres, tandis qu’autrefois elles restaient cantonnées dans leurs corps d’état respectifs ; l’on a vu pendant ces dernières années des sociétés de métiers différens se prêter assistance en cas de grève. L’association des ouvriers de Londres sous la direction de M. Potter, l’un des membres influens de l’ancienne ligue pour la réforme électorale, a émis la prétention de devenir le représentant suprême des unions formées dans les différentes industries. Quelques corps d’état, comme les tailleurs de Londres, sont entrés en rapport avec les ouvriers de Paris, de Berlin et de Genève. L’on voit que le mouvement qui porte les différens groupes d’artisans à se concerter et à se lier les uns aux autres n’est pas arrivé à sa dernière période ; il serait même plus juste de le considérer comme ne faisant que commencer.

La manifestation la plus éclatante des aspirations et des espérances ouvrières, c’est la constitution en France de l’Association internationale des travailleurs. Née dans l’ombre il y a quelques années, elle s’est fait connaître par le retentissement des congrès qu’elle a tenus en Belgique et en Suisse, et où elle a émis les doctrines les plus subversives. Cet embryon de ligue ouvrière universelle est-il appelé à un développement considérable ? Il est intéressant de comparer cette création française avec les unions anglaises. En Angleterre, les sociétés d’artisans sont sorties de l’instinct populaire, et se sont formées isolément dans tous les centres industriels, puis ont grandi peu à peu à l’écart, pour se rapprocher successivement les unes des autres et devenir en cin-