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des commissaires a voulu faire de cette patente légale un droit non pas absolu, mais conditionnel. Pour l’obtenir, on voudrait exiger des unions la preuve qu’elles renoncent à limiter le nombre des apprentis, à prohiber le travail à la tâche, à défendre à leurs affiliés de travailler avec les ouvriers non unionistes ; on voudrait aussi engager les trade’s unions par l’appât de faveurs supplémentaires à séparer complètement les fonds qui servent aux grèves et les fonds qui sont destinés aux secours mutuels. Ces intentions sont bonnes et louables ; si elles pouvaient être efficaces, nous ne leur ménagerions pas notre approbation. Dans l’état actuel, nous ne saurions admettre les restrictions qu’on propose, ce sont de pauvres moyens, en complète disproportion avec la fin qu’on désire. On n’amènera pas ainsi les associations ouvrières à s’amender ; on les irritera davantage, on accroîtra leurs rancunes, on augmentera les sympathies déjà trop fortes qu’elles rencontrent dans les classes laborieuses. La seule mesure à laquelle des hommes sérieux puissent s’arrêter, c’est de faire cesser l’iniquité flagrante qui permet de voler avec impunité les trade’s unions, c’est là une innovation nécessaire, mais il importe de n’en pas détruire l’effet par des restrictions inutiles. En acquérant une situation légale, il faut espérer que les associations ouvrières anglaises adouciront un peu leurs procédés. En tout cas, s’il importe de laisser se produire au grand jour les doctrines, quelque perverses ou erronées qu’elles puissent être, il est du devoir du gouvernement de punir et de prévenir les délits et les crimes. Il faut que les ouvriers non-unionistes sachent que la force sociale les protège. L’administration anglaise s’est montrée trop timide et la justice trop impuissante dans toutes ces grèves et tous ces désordres qui ont rempli l’Angleterre. Le devoir de la police et de l’armée n’est pas seulement de maintenir la sécurité des routes et des domiciles contre les brigands et les voleurs, c’est encore d’assister les faibles dans les luttes professionnelles et de mettre les dissidens à couvert de toutes les vexations dont ils sont le plus souvent victimes. Aussi faut-il approuver sans réserve l’idée émise par l’unanimité des commissaires, d’instituer un ministère public pour poursuivre d’office les ouvriers qui se rendent coupables de violence ou de menaces contre leurs camarades. Les membres de la commission d’enquête ont aussi grande confiance dans l’efficacité de tribunaux de conciliation composés mi-partie de patrons, mi-partie d’ouvriers, et qui interviendraient à l’annonce d’une grève pour essayer de la prévenir. C’est là un espoir trop philanthropique pour n’être pas encouragé dans une certaine mesure. Il est utile que des délibérations et des conférences précèdent ces grandes guerres industrielles ; mais il ne faut pas se dissimuler que très souvent toutes ces tentatives d’accord préalable échoueront misérablement. Il fau-