Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
933
LA QUESTION OUVRIÈRE.

les meilleurs moyens de l’atteindre. Il importe cependant de ne pas faire peser sur elles une égale responsabilité, de ne pas perdre de vue la distinction radicale que nous avons établie entre les petites unions locales et les grandes unions nationales. Prenons comme exemple l’union des briquetiers. On sait que toutes les villes anglaises sont bâties en briques. Il n’est pas téméraire de dire qu’on trouverait difficilement sur la terre une engeance plus despotique, plus arrogante et plus inepte à la fois que ces populations de briquetiers anglais ; ils se sont formés en congrégations qui ont divisé le territoire en zones et qui ne permettent pas l’entrée de briques faites dans une zone étrangère ; ils ont prohibé toute espèce de machines ou d’engins, ainsi que l’emploi des briques mécaniques. Ils ont fait avec les maçons et les tailleurs de pierres des conventions dont voici quelques articles : les pierres ne peuvent être taillées dans les carrières et doivent être amenées brutes à l’endroit où elles seront employées ; il est défendu à l’aide-maçon de porter des briques dans une brouette ; c’est dans une auge qu’il les doit mettre, et encore n’en doit-il avoir plus de huit à la fois. Grâce à ces règlemens, la dépense pour le consommateur est surélevée de 35 pour 100. On remplirait des pages entières de prescriptions aussi vexatoires. Malheureusement la contagion de ces mesures arbitraires atteint les unions d’ordre supérieur. Un des grands constructeurs de Londres, M. Trollope, raconte que, s’adressant en ces termes à un ouvrier honnête : « Eh bien ! voyons, est-ce là ce que vous appelez une bonne journée de travail ? » il lui fut répondu : « Non, monsieur ; mais on ne me permet pas de faire plus que mies camarades. » Une autre fois le même industriel reprochait à un ouvrier de se rendre à son ouvrage comme un limaçon. « J’en suis bien fâché, monsieur, lui répliqua-t-on ; mais on ne nous permet pas de nous échauffer, si c’est votre temps que nous dépensons. » Tous ces faits ne sont que trop réels, beaucoup d’unions font un crime à leurs affiliés d’être actifs au travail ; il ne leur est pas permis de devancer leurs camarades (to best their mates). Trop de diligence à l’atelier peut entraîner une amende à la loge. D’autre part, même les grandes corporations sont hostiles à l’introduction des machines ou en paralysent les effets bienfaisans. Que de luttes n’a pas eu à soutenir un industriel sorti de la classe ouvrière, M. Nasmyth, pour avoir inventé ces merveilleuses machines-outils qui ont si fort contribué au développement de notre civilisation contemporaine ! M. le comte de Paris nous raconte que dans les Mersey iron works deux ouvriers lamineurs, qui ne travaillaient pas plus que leurs camarades, se trouvèrent gagner, l’un 400 livres sterling (10,000 fr.), et l’autre 450 livres sterling (11,250 fr.) par an, parce qu’un perfectionnement