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que les rivalités et les compétitions de personnes ou de principes pourront trouver leur place.

C’est une loi providentielle ou, si l’on veut, une loi organique de notre état social que la présence et le concours de toutes les classes soient nécessaires pour le fonctionnement d’institutions libérales. Ayez un gouvernement d’aristocratie, de bourgeois ou d’ouvriers, et vous n’aurez jamais qu’un gouvernement despotique : ce sera un comité de salut public, un conseil des dix ou une dictature ; ce ne sera pas une administration pacifique et régulière. Dans toutes ces associations, qui se recrutent exclusivement au sein d’une classe en vue d’une lutte sociale, ce seront toujours les minorités radicales qui exerceront la prépondérance. Le fait est reconnu par les plus chauds partisans de l’unionisme, par M. Thornton lui-même. « Il ressort clairement, dit-il, que les conseils exécutifs des unions ouvrières sont parfaitement en situation d’exercer sur les membres la haute pression dont l’opinion publique les accuse. Il est en outre certain que tous maintenant exercent cette pression d’une manière plus ou moins violente, ce plus ou ce moins dépendant, pour chaque cas particulier, en partie du caractère collectif de l’union engagée dans l’affaire, en partie des caractères individuels de ses directeurs. »

Les fonctionnaires de ces grandes unions nationales diffèrent beaucoup de leurs collègues des unions inférieures : ce sont des lettrés, des diplomates, des politiques. Ils ont les yeux fixés sur l’avenir, et par conséquent évitent ou préviennent les impatiences et les tentatives hasardées ou prématurées ; ils affectent la modération, le calme et la dignité. Leur parole est emmiellée ; ce sont des pilotes qui prétendent à l’habileté non moins qu’à la vigilance : ils copient les hommes d’état, beaucoup sont de véritables doctrinaires. Le sentiment de la responsabilité immense qui pèse sur eux les oblige d’ailleurs à contenir leur personnel plutôt qu’à l’exciter. Ces positions ne sont pas des sinécures, elles exigent une activité fébrile, au moral et au physique. L’un des directeurs de ces sociétés, M. Mac Donald, président de l’association nationale des bouilleurs, déclare qu’en sept ans il a pris part à 1,600 réunions, parcouru 230,000 milles (près de 100,000 lieues), écrit 17,000 lettres. Pour tous ces labeurs, ces fonctionnaires ont de maigres appointemens. Le secrétaire-général de la société des charpentiers fusionnés n’a que 130 livres sterling par an, soit 3,250 francs. Les allocations extraordinaires pour frais de déplacement sont plus généreusement calculées. Comme jeton de présence à une assemblée de jour, un membre du conseil exécutif des mécaniciens reçoit l’équivalent de son salaire habituel, plus 5 shil. ou 6 shil. 6 pence