Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/927

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
921
LA QUESTION OUVRIÈRE.

un grand bonheur. Grâce à lui, le public français a été familiarisé avec ces associations ouvrières anglaises. Cependant, si apprécié qu’il ait été en Angleterre comme sur le continent, l’ouvrage de M. le comte de Paris ne donne pas le dernier mot sur la constitution et sur le rôle des trade’s unions. Des matériaux, non-seulement plus abondans, mais plus concluans, sont aujourd’hui à notre disposition. Les membres de la commission d’enquête ont déposé leur rapport final ; ils ont été contraints par l’opinion publique de se prononcer, et, comme il arrive toujours en pareil cas, ils ont été en désaccord. L’on a eu l’opinion de la majorité et celle de la minorité ; bien plus, quelques membres même de la majorité ont cru devoir faire sur certains points des réserves ou des observations qui les séparent de leurs collègues. Cette variété d’appréciations et de documens est aussi propre à éclairer le lecteur, qui cherche à connaître le sujet sous toutes ses faces, qu’à embarrasser le législateur, qui doit traduire en prescriptions légales les suggestions des commissaires de l’enquête. À côté de ces travaux officiels se sont produits dernièrement des ouvrages substantiels d’une incontestable valeur, et qui se distinguent par la diversité de leur esprit et de leurs tendances. L’un d’eux, écrit par un économiste radical, M. Thornton, a les plus hautes visées : il s’arme en guerre contre l’économie politique classique, et dans une apologie effrénée des coalitions et des trade’s unions il trace avec l’animation de l’enthousiasme le tableau vivant des associations ouvrières en Angleterre. Plus modeste dans ses prétentions, M. James Stirling, dans un opuscule des plus judicieux, nous décrit sans pitié les incontestables maux produits par l’unionisme, et rétablit avec vigueur les vrais principes scientifiques méconnus par les chefs et par les apologistes des trade’s unions. C’est à ces différentes sources que nous allons puiser pour esquisser la constitution, le but et les résultats de ces corporations, qui ont l’ambition de transformer les relations sociales. On ne saurait contester l’opportunité d’une pareille étude au moment où de nombreux indices nous annoncent qu’un grand effort se fait en France parmi les populations ouvrières pour former une fédération de travailleurs dont l’objet avoué serait de réduire le capital à merci.


I.

Les trade’s unions ou unions de métiers naquirent spontanément, il y a cinquante années, dans un grand nombre de localités et d’industries. Elles furent le produit, non d’un plan systématique émanant de l’intelligence d’un homme, mais de l’instinct des masses populaires ; elles se constituèrent d’abord indépendamment les unes