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même qu’il l’aurait épousée. Meyer m’a donné sur le sujet tant de particularités, que je n’en puis douter; ainsi Goethe paierait une pension aux parens et à la sœur, avec laquelle il avait commencé par entrer en relations. La personne était connue de tous les jeunes artistes; elle faisait le métier de modèle. Mets-toi en quête d’informations précises là-dessus, et ne manque pas de m’instruire de tout ce que tu apprendras. J’en suis profondément désolé pour Goethe, car il s’agit d’une vraie drôlesse qui l’aurait indignement dupé. » Koerner obéit au vœu de Schiller, et sa réponse contient le résumé de ses renseignemens. « Il n’y a que trop de vrai dans tout ce que Meyer t’a raconté, cependant la situation n’est point si désastreuse. Et d’abord, de mariage il n’a jamais été question; mais ce qu’on m’assure, c’est que Goethe a emmené la donzelle de Rome et l’a conduite avec lui en Suisse. Comme tu penses, je ne lui ai point parlé de cette laide histoire; mais, sans avoir eu besoin de le questionner, je crois savoir maintenant de source certaine qu’il a laissé la demoiselle en Suisse et pris des mesures pour qu’elle y reçût quelque éducation. Il se peut qu’il ait sur elle des projets d’avenir, lesquels ne se réaliseront pas, j’en jurerais. Les sens l’auront, comme d’habitude, entraîné. Or ce n’est pas avec ses lettres qu’elle le maintiendra sous son empire. Peut-être aussi qu’en Suisse le temps va lui sembler bien long, et alors un faux pas est vite fait; une autre n’a qu’à lui plaire davantage, l’enlever, et Goethe en sera quitte pour un peu d’argent. » Là s’arrêtent les confidences de Koerner, le seul avec Schiller qui dise un mot de cette histoire, sur laquelle nous fermerons aussi la parenthèse.

Pour épuiser la chronique galante de ce voyage en Italie, citons encore cette princesse napolitaine que Goethe appelle « dame Kobold. » Le nom dit tout : nature mobile, ardente et démoniaque, dont l’aventure avec le poète rappelle, mais de loin et sans qu’il y ait eu de conséquences fâcheuses, l’histoire de Rossini avec la princesse Borghèse. Il y eut aussi la marquise Branconi, rencontrée à Lausanne en 1779 lors du second voyage en Suisse, et plus tard retrouvée à Weimar. C’était une délicieuse et fort galante personne qu’une liaison avec le duc de Brunswick avait déjà rendue célèbre, et dont la comtesse Sanvitale du Tasse offre un portrait assez ressemblant, «Elle me paraît si belle, si adorable, écrit Goethe à Mme de Stein, que j’en suis à me demander si tout cela peut bien être ainsi que je le vois ; un esprit, un mouvement, des clartés sur toutes choses qui vous confondent! Il faut vraiment dire de cette femme ce que raconte Ulysse du rocher de Scylla : nul oiseau, fut-ce la colombe rapide qui porte à Jupiter l’ambroisie, ne le peut effleurer sans y blesser son aile. » Ce qui étonne en pareil cas bien au-